Aimer (et) peindre à en mourir : ainsi pourrait-on résumer la fulgurante carrière de Nicolas de Staël. Une vie offerte à la création, qui débuta à Saint-Pétersbourg en 1914. Son père, proche du Tsar, était le vice-gouverneur de l’imposante forteresse de la ville. Mais mis à la retraite dès le début de la Révolution de 1917, il choisit l’exil pour se réfugier en Pologne avec toute sa famille. La mort du père, en 1921, bientôt suivie par celle de sa mère, laissa Nicolas et ses deux sœurs, orphelins. C’est ainsi que, recueilli par une famille de Russes exilés, Staël se retrouve à Bruxelles où il fera ses études chez les Jésuites puis à l’Académie des Beaux-Arts. Mais les vraies années de formation, il les doit à ses voyages. En Espagne d’abord, véritable terre de l’apprentissage et de l’éclosion, puis au Maroc, un immense atelier à ciel ouvert. Cette révélation, il tente de la faire partager à ses parents adoptifs dans des lettres où il dit sa fièvre de tout dessiner – « Tout doit se passer en moi. C’est avec le besoin intérieur, intime, qu’il faut dessiner et ce n’est que comme cela que je ferai, si je puis, du bon dessin, de la bonne peinture. » – et où il évoque son bonheur d’être confronté à la puissance de la lumière, à l’aridité des paysages, à la simplicité des modes de vie, loin, très loin des écoles et de l’art de salon.
Un état aigu de sensibilité, de vie à fleur de peau, et une soif de connaître – « Il faut savoir les lois des couleurs, savoir pourquoi Véronèse, Vélasquez, Frans Hals, possédaient plus de 27 noirs et autant de blancs ? ». Plus loin : « Il faut savoir se donner une explication, pourquoi on trouve beau ce qui est beau » – qui laissent de marbre ses parents adoptifs. À sa « mère », il écrit : « Je suis triste quand je peins et sais d’avance ne pas être compris. » Face à leur intransigeance, la rupture s’impose. « Je préfère être syphilitique et avoir une foi, un sens, un feu quel qu’il soit que d’être en excellente santé assis dans un bureau de poste ou quelqu’autre administration. » Il a 23 ans. « Je sais que ma vie sera un continuel voyage sur une mer incertaine. »
Au Maroc, il a rencontré Jeannine Guillou, peintre comme lui, qui choisit de quitter son mari pour suivre l’artiste à la fougue contagieuse qu’est Staël. Direction l’Italie, puis la France où ils s’installent en 1938. Des années de vie dure qui verront l’éclosion d’un peintre au prix de la santé déjà fragile de Jeannine. « Il attend de moi… tout… ce qu’il cherche, confiera-t-elle. Ce qu’il n’arrive pas à extraire de ses toiles, sans fin torturées, repeintes, massacrées, bousculées. (…) Et chaque échec est contre moi. » Elle mourra à 36 ans, en février 1946.
« Un tableau, c’est organiquement désorganisé, et inorganiquement organisé ».
Refusant le débat abstraction/figuration, Staël raille « le gang de l’abstraction avant », et n’hésite pas à affirmer que « les tendances non figuratives n’existent pas », allant jusqu’à se demander...
Événement & Grand Fonds La douleur sous la couleur
« L’ellipsoïdal épervier » : c’est ainsi que René Char nommait le peintre Nicolas de Staël. La publication de l’ensemble des lettres de ce dernier nous le montre dans tous ses états et tous ses éclats. Aussi prenant et fascinant que les Lettres de Van Gogh.