Une rue en pente, à la lisière du Panier. Éric Pesty ouvre la porte de son petit atelier, qui donne sur deux presses, l’une mécanique, l’autre manuelle. « C’est important de posséder son propre outil de production », sourit-il. Quand il ne travaille pas ici, Éric Pesty est au Centre International de Poésie de Marseille en train de préparer un numéro de la revue CCP (Cahier critique de poésie). Drôle de parcours que celui de ce jeune homme, doux et affable, né à Gap en 1972, titulaire à la fois d’un CAP et d’une thèse. À 15 ans, il part à Mirecourt dans les Vosges pour apprendre à fabriquer des violons. « Dans ma famille, on a tous fait le conservatoire. » À 20 ans, il s’installe à Marseille où il trouve un emploi dans un atelier de lutherie. Mais abandonne, suit des cours par correspondance à la fac, se retrouve objecteur de conscience à la bibliothèque universitaire d’Aix, puis documentaliste au Cipm. L’étudiant fait son DEA sous la direction de Jean-Marie Gleize avant de soutenir une thèse sur la notion de récit dans l’œuvre de Claude Royet-Journoud. « Il n’y avait pas de place pour moi à la fac. Je suis une sorte d’électron libre ». C’est en 2005 qu’Éric Pesty crée sa maison d’édition, après plusieurs expériences éditoriales (notamment chez Ivrea où il établit une traduction de Tacite). Un catalogue qui ne cesse de questionner notre rapport au langage.
Quelle analogie voyez-vous entre la lutherie et la typographie ?
La position du luthier par rapport à la musique est la même que la position du typographe par rapport à l’écriture : on rend possible la pratique d’une création. La lutherie est un métier très compliqué, très fin, qui demande une extrême délicatesse. Rendez-vous compte : j’ai passé huit ans de ma vie, entre 15 et 23 ans, le cul rivé à un tabouret devant un établi (sourire).
Éric Pesty éditeur a acquis une visibilité grâce à la collection « les agrafés ». Comment est née cette collection ?
J’ai appris la typographie chez Pierre Mréjen, l’éditeur de Harpo &, dans son atelier de Corbières, près de Manosque. J’ai commencé à faire ces petits livres là-bas. Ils reprennent la tradition américaine des « chapbooks » ou livres de colporteur. Ce qui s’apparente chez nous à la plaquette du XIXe siècle, mais sans gravure ni peinture. Un modèle éditorial m’a beaucoup inspiré : Le collet de buffle, dirigé par Paule Philip. Cette collection, simple et pas chère, peut accueillir des travaux d’écriture en cours. Par exemple, Now sports, de Samuel Rochery, est une petite forme qui jette les bases d’un essai à venir consacré au sport de combat. Kardia, de Claude Royet-Journoud, est un chapitre de son prochain livre… Au départ, en 2005, je ne souhaitais publier que des « chapbooks ». L’idée a un peu dévié…
Créer des collections, c’est donner l’idée d’un esprit de famille, non ?
Disons qu’il y a trois strates dans mon catalogue. Les auteurs dont les livres m’ont formé : Claude Royet-Journoud,...
Éditeur La tête et les mains
mars 2015 | Le Matricule des Anges n°161
| par
Philippe Savary
Agrafés ou brochés, les livres d’Éric Pesty investissent les champs de la littérature et de la poésie contemporaines sous des formes inattendues. Éloge du travail très bien fait.
Un éditeur