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Poésie La passion du chant

avril 2015 | Le Matricule des Anges n°162 | par Emmanuelle Rodrigues

Décédé en janvier 2014, Juan Gelman a laissé une œuvre considérable, qui a su rendre « positive la somme abominable de l’opprobre et du malheur ». Les cinq recueils rassemblés ici font entendre la voix du poète argentin alors exilé en Europe.

De l’œuvre de son ami, Cortázar écrivit qu’elle s’était faite parole de « la réalité la plus concrète de l’Argentine de ces dernières années », désignant là les régimes dictatoriaux que leur pays connut au cours du XXe siècle. Il remarquait aussi que « chez cet homme dont on a décimé la famille, qui a vu mourir ou disparaître ses amis les plus chers, nul n’a pu tuer la volonté de dépasser cette somme d’horreurs en un choc en retour affirmatif et créateur de vie nouvelle ». Journaliste mais aussi militant politique très engagé, Juan Gelman fut menacé de mort et ses propres enfants séquestrés, torturés, périrent assassinés. Lors du coup d’État de 1976, il quitte Buenos Aires, où il était né en 1930 dans une famille juive originaire d’Ukraine, pour l’Europe, puis à partir de 1989, il s’installe au Mexique. Bien des années plus tard, il retrouvera Maria, sa petite-fille, âgée de 23 ans, qui enlevée à sa mère après sa naissance fut adoptée par une famille de militaires.
Sans doute Juan Gelman était-il lui aussi destiné à « écouter la voix du monde », du moins à en faire entendre les résonances, des plus intimes aux plus symboliques : « je suis là pour parler des vents qui voyagent vers l’avenir », écrit-il dans Entendre, à la mémoire de son fils, Paco. C’est à une pléiade d’images que Juan Gelman s’en remet pour dire l’étendue d’une douleur qui hante jusqu’aux astres, et convoque la lune, le feu, le soleil, secoue le psychisme autant que le fracas d’un désastre. La dénonciation de la torture, la disparition de ses proches, le combat inconditionnel contre la dictature constituent quelques-uns de ses thèmes majeurs, et cette liberté de parole des plus remarquables rend compte d’une indéniable gravité. Ainsi, chez Juan Gelman, tout parle, et tout est parlant a fortiori. Les mots prennent vie et telles des étincelles, enflamment l’imagination. Violence politique et poétique se répondent : « la Révolution avait été pour eux un œil de feu / le vent qui balaye les astres / un arbre monté vers l’oiseau le plus audacieux ».
Demeurent la joie et l’enchantement de narrer les choses les plus invraisemblables, les plus inespérées et les plus fantastiques : le cadavre de l’oncle Juan, mort misérable, est si malingre qu’il tend à ressembler à un oiseau, et celui-ci quand on l’emmène au crématorium, chante et ses cendres elles aussi piaillent. La beauté niche dans les paraboles. Il en jaillit une constellation de personnages légendaires ou anonymes. Les figures récurrentes du révolutionnaire, du poète et de la femme contribuent à mettre au monde « un autre royaume », où la vie et la parole triomphent de la mort et du silence. Royaumes célèbre cette promesse libératrice : « il faut passer du royaume de la nécessité au royaume de la liberté / de la théologie à la religion / du capitalisme à la vie / de la poésie économique à l’économie poétique / de la faim à toi » ; Dans Fuoco, le poète se parle à lui-même. Il y rend justice aux morts et aux vivants : « je suis venu parler de la beauté / elle ouvre son enfance comme un champ de toi / tu parles avec moi / tu te souviens de m’oublier / tu écris des lettres à la fureur / la victoire va bien venir par là / saluant les compagnons vivants » ; Puisés à même l’amour et la tendresse, les mots de Juan Gelman sonnent justes. Humour, fantaisie et dérision composent un monde où la souffrance se transmue en verbe, et la mort se change en principe de vie. C’est bien ce tour de force que Cortázar admirait chez son ami, car disait-il encore, il avait su rendre « positive la somme abominable de l’opprobre et du malheur ».

Emmanuelle Rodrigues

Vers le Sud et aurtes poèmes
Juan Gelman
Présenté et traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet
Postface de Julio Cortázar
Poésie/Gallimard, 400 pages, 9,70

La passion du chant Par Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°162 , avril 2015.
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