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Domaine français L’aventure de la langue

juillet 2015 | Le Matricule des Anges n°165 | par Anthony Dufraisse

Disparu en décembre 2013, Michel Chaillou a tenu un journal pendant vingt-cinq ans. Plongée dans l’intimité créatrice de l’auteur du Sentiment géographique.

Journal (1987 -2012)

Vous donner, tout d’abord, les mensurations de l’objet : 4 cm de largeur et pas loin de 800 grammes à la pesée. Ce volume posthume, l’ultime, donc, de l’auteur, c’est l’épaisseur, le poids de toute une vie, ou presque. Car quand Michel Chaillou l’entreprend, un jour de mars 1987, il approche déjà des 60 ans. Cette « volonté de tenir un journal » qui l’anime à la toute première ligne connaîtra régulièrement des éclipses, jusqu’à 2012, année où il s’achève. Fournis et touffus pendant des mois et des années, les cahiers sont, sur des périodes parfois très longues (cinq ans de silence entre 1988 et 1993), mis de côté, désertés. Soit que Michel Chaillou ne ressente plus le besoin « d’écrire pour écrire », soit qu’il n’en a vraiment plus le temps, happé qu’il est par ses multiples projets. Il faut dire que l’homme a toujours un ouvrage sur le métier. Entre la publication de Jonathamour en 1968 et celle de L’Hypothèse de l’ombre en 2013, ce sont tout de même trente livres qui paraîtront, la plupart chez Fayard, au Seuil et Gallimard. Ces infidélités répétées faites à ses cahiers feront dire à Michel Chaillou qu’il tient un « journal intermittent ».
Ce que l’on y voit c’est le quotidien d’une vie à l’œuvre, les coulisses d’une œuvre qui se construit. Voilà autant un journal de travail qu’un journal de ce qui travaille, tenaille un homme qui l’assure : « Les seuls événements de ma vie sont dans les livres ». L’affirmation est moins excessive, moins exclusive qu’elle ne paraît. Les êtres chers (David, son fils, et Michèle, sa femme, « fleurs de ma vie », et plus tard Mathilde, sa petite-fille « magique »), les amis (les deux autres Michel, Ragon et Deguy, Jacques Roubaud) sont des figures omniprésentes. C’est drôle de voir comment la présence des uns et des autres s’invite, à la faveur d’un coq-à-l’âne, d’une queue de poisson, au beau milieu d’une réflexion profonde sur la littérature ou l’existence. D’ailleurs, ce côté brut, vrac, pêle-mêle fait sans doute la rareté de ce Journal. Les œuvres passées, avec lesquelles Michel Chaillou entretient un commerce infini, forment aussi une assemblée familière. Là se manifeste son « goût des livres désuets vieillis dans l’encre de leurs usages ». Parce que « les œuvres du passé appartiennent à notre futur », il annote, commente, médite Chateaubriand, les Brontë ou les Goncourt, Barbey d’Aurevilly, Montaigne, Rousseau et tant d’autres. Et les déplacements physiques sont finalement bien peu de chose comparés aux circulations mentales. Voyageur du temps, Chaillou se téléporte souvent, tantôt s’immergeant dans le Moyen Âge, tantôt s’imprégnant du XVIIe siècle. Cette matière historique nourrit son imaginaire, c’est un moteur pour son écriture : « Le passé m’intéresse, car ce qui lui reste comme avenir c’est l’imagination qu’on en a ». La familiarité de Michel Chaillou avec les grands Anciens, dont il n’idéalise cependant jamais la postérité, lui vaut de porter sur la production récente ou contemporaine des jugements sans concession. Cela, parce qu’il rumine une obsession : celle de la langue. Jusqu’à la fin, Chaillou n’aura eu de cesse de défendre la primauté de l’écriture contre l’emprise grandissante de l’histoire. Mars 94 : « La langue est aussi une fiction, écrire c’est faire descendre la fiction dans la langue ». Quelques mois plus tard, en septembre : « La plupart des auteurs inventent une histoire et les mots de l’histoire sont dans l’histoire (…). Moi, je n’ai pas d’histoire. J’aimerais débarrasser la langue de ces putains d’histoires ou du moins qu’elle me raconte la sienne, celle du monde qui bute aux croisillons de syllabes. Qu’il y ait une histoire ou pas, l’importance c’est le tuf, le sous-dit, le non-dit, ce qui s’énonce verticalement à ce qu’on dit ».
Donnant lieu parfois à des jugements un peu expéditifs (sur Simenon ou Houellebecq par exemple), cette dialectique du style et du sujet le préoccupe toujours davantage et se reflète particulièrement dans ses dix dernières années d’intense activité littéraire (une dizaine d’ouvrages voit alors le jour, de 1945 à Éloge du démodé en passant par L’Écoute intérieure). Contre les « phraseurs », « faiseurs de livres qui rédigent, n’écrivent pas », Michel Chaillou ne lâche rien : « Écrire c’est d’abord une aventure de langue, avec ou sans personnages et situations ». Travaillant chaque jour à opérer cette alchimie du fond et de la forme, il écrira, inaugurant en 2007 son site Internet, qu’il « cherche une manière d’habiter les mots qui lui soit propre ». Tout, sa quête et sa raison d’être, tout est là.

Anthony Dufraisse

Journal (1987-2012)
Michel Chaillou
Préface de Jean Védrines
Fayard, 526 pages, 24

L’aventure de la langue Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°165 , juillet 2015.
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