La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Les mains dans la lutte W****

juillet 2015 | Le Matricule des Anges n°165

Elle parle des fleurs à l’hôpital. Des blouses blanches et des attentions. Elle parle d’une aventure joyeuse et colorée. Elle parle de contrastes. Elle dit : « Je n’ai jamais eu autant de livres au pied de mon lit. Autant d’espace pour les lire. Il y en avait toujours un ou deux glissés sous les draps. Et quand une infirmière me demandait ce que j’en avais pensé, je cherchais, parce que celui-là m’avait échappé. Je ne m’en souvenais pas. »
D’ailleurs, elle ne se souvient plus tellement de ce qu’elle a lu. Et ce n’est pas important. L’important, c’est cette atmosphère douce d’ailes de pigeons froufroutant dans la chambre.
La douleur, ce renard qui ronge continûment son os, l’inquiétude de ne plus jamais marcher, ou de se traîner avec les pattes brisées, les efforts, la solitude, le temps interminable et les nouveaux délais ?
Elle soupire. Évidemment, ça ne peut pas être seulement marrant. Mais c’est comme les livres, elle a oublié les détails.
Elle dit : « Ah, oui. Je me souviens. Les Hortenses. De Felisberto Hernández. Je le lisais. Je l’oubliais. Je le recommençais. Je me disais : mais pourquoi je n’ai pas lu ça plus tôt. C’est formidable, ce livre. Et à la fin je retrouvais la croix que j’avais tracée au crayon de papier, sur la dernière page. »
Elle est partie loin des villes. Parce que dans les villes, il y a des intubations, des spécialistes qui n’ont pas de rendez-vous avant trois mois, des centres d’examen et des ostéopathes.
Quand tu perds ton corps, la nature, ce n’est plus un complément ou un paysage, c’est la vie crue qui se prothèse sur tes moignons.
Elle dit : « Il y avait cette maison, dans la famille. Je passais devant dans mon enfance. Personne n’y allait jamais. Qu’est-ce que j’ai pu rêver. »
Finalement, c’était simplement une vieille maison trop froide, beaucoup trop sombre, beaucoup trop grande. Avec deux ou trois marches pour passer de la cuisine au salon, ou pour atteindre la salle de bains. Et des escaliers casse-pattes pour rejoindre les chambres. Avec un jardin ensauvagé, des frelons et des orties. Avec des bosquets qu’elle ne taillera jamais.
Un jardin pratiquement sans fleur (mais avec plus d’une dizaine de plantes aromatiques).

C’est un bourg, avec une départementale traversante. La forêt est trop courte pour eux alors il faut des activités aux mômes et elle a imaginé un atelier, où elle convie ceux du secteur, le samedi.
Elle les maquille en clown.
Une fois le visage peinturluré, la plupart lui échappent, férocement (ils savent bien qu’elle ne va pas les rattraper), et repartent dans les jardins familiaux, transformant leurs visages en farces, en indiens, en Halloween, en bizarrerie, en perplexité parentale.
Elle en garde trois ou quatre qu’elle fait répéter, dans un ancien cellier. Elle ne sait pas vraiment où elle les emmène.
Un samedi, elle a maquillé un clown inédit. Le garçon s’est mis à pleurer.
Elle dit : « Mais, arrête. Tu es Djamel. Djamel le clown. »
Il chouine : « Je veux pas être comme ça. Personne peut m’aimer. »
Elle a déballé le costume (quinze jours de couture et un chapeau de magicien). Une lampe à huile montée sur hampe. Elle a parlé de tout ce que savait faire Djamel. Ses pouvoirs.
Le garçonnet pleurnichait toujours.
Alors, elle l’a effacé.
Depuis, par pure vengeance, elle le maquille en McDonald. Avec une perruque orange de psychopathe, un bermuda et des chaussettes rayées.
Le garçonnet est ravi. Ses parents aussi.
C’est une fillette qu’elle djamilise.
Elle dit : « Nous avons quand même une langue commune, c’est d’avoir un corps. Je suis fatiguée de parler de toute façon, il y a trop de paroles, ça rend tout compliqué. »
Peut-être faut-il toujours commencer par les filles. Puisque dans bien des croyances, c’est par elles que viennent les épidémies.
Les clowns fabriquent un terrain d’entente. Elle les lâche sur un goûter d’anniversaire, sur la place le jour du marché. Les voisins, les parents, les passants sont débordés. C’est bien quand la vitalité gambadeuse prend d’assaut les forteresses, les poternes, les douanes et les caisses enregistreuses. Le monde devient un endroit favorable.
Elle dit : « J’ai un petit spectacle sur la Grèce. Avec un clown qui va acheter des œufs, pour nourrir sa famille, et sur sa route il rencontre des créanciers. Ils lui prennent ses œufs, son pantalon, ses chaussures, et en échange ils lui donnent une dette. Les parents aiment beaucoup ce spectacle. »

Elle vit du RSA et des deux ou trois cageots chargés de fruits et de légumes invendus que lui ramènent ses clowns. Ils n’ont même plus besoin de réclamer, les maraîchers les mettent de côté pour eux. Et, parfois, il y en a même un pour faire le détour jusqu’à la maison et lui déposer un panier sur les marches.
Dans un an, elle sera opérée à nouveau. L’opération de la dernière chance, a dit le médecin.
Elle dit : « Pourquoi ? Vous croyez à la chance, vous ? Vous tirez à pile ou face avant d’enfiler les gants ? »


Charles Robinson

W****
Le Matricule des Anges n°165 , juillet 2015.
LMDA papier n°165
6,50 
LMDA PDF n°165
4,00