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Domaine français Derrière le visible

septembre 2015 | Le Matricule des Anges n°166 | par Jean Laurenti

Avec ce livre enluminé d’images nées d’une écriture d’une grande justesse, Antoine Choplin retrace le combat que mena un artiste tchèque dans le camp de Terezin.

Une forêt d’arbres creux

Il y a dans les livres d’Antoine Choplin quelque chose que l’on retrouve de l’un à l’autre, qui appartient à l’ordre de la sensation et, fort heureusement, résiste à la définition. Un je-ne-sais-quoi qui s’ancre dans le territoire désormais familier d’une écriture singulière et s’aventure avec une délicatesse inquiète dans le questionnement des liens fragiles qu’un être tisse avec le monde qui l’entoure, liens qui finissent par faire trame, motifs. Antoine Choplin en saisit les fils, en fait la matière de sa phrase, la substance du texte. Comme c’était le cas de plusieurs de ses ouvrages précédents, Une forêt d’arbres creux se déroule dans un temps de guerre. Le cadre est celui du camp de transit de Terezin situé dans les Sudètes, dans la partie de la Tchécoslovaquie que l’Allemagne nazie a annexée. Les juifs tchèques y sont parqués avant d’être envoyés plus à l’Est pour un voyage sans retour. D’autres séjournent plus longtemps dans un ghetto présenté au monde comme un modèle d’humanité.
Bedrich Fritta, son épouse Johanna et leur fils Tomi, « qui n’a pas encore un an », arrivent à Terezin « en décembre de l’année 1941 ». Rien n’est dit des conditions de leur arrestation, et peu de chose de leur vie d’avant. On saura seulement qu’autrefois Bedrich a « dessiné pour les journaux ». C’est donc à travers l’existence qu’ils vont mener dans le camp qu’il faudra chercher à les connaître. Comme tous les nouveaux arrivants, ils doivent d’abord passer par l’épreuve du tri, étape inévitable dans le processus de déportation : « On sépare les hommes et les femmes. Les enfants restent avec leur mère. Rien à craindre, dit-on, ici à Terezin les familles pourront se rassembler souvent. C’est un bon endroit, Terezin, répète-t-on. » Quelques heures auparavant en arrivant sur cette place où ils attendent les ordres, Bedrich a longuement observé les deux arbres qui s’offraient à son regard : « Juste derrière les deux ormes passe la clôture de fils de fer barbelés, quatre ou cinq lignes noires et parallèles rythmées par les poteaux équidistants. Drôle de portée avec ses barres de mesure, vide de toute mélodie, et contre laquelle, à bien y regarder, semble se disloquer la promesse des choses. » C’est dans ce camp que Bedrich et sa famille vont tâcher de vivre durant plus de deux ans.
Du fait de son talent et de son expérience, l’artiste est désigné pour diriger une sorte de bureau d’études dans lequel une quinzaine de dessinateurs doivent « réaliser des plans de rénovation » du ghetto. L’une des tâches qui leur est confiée consiste à concevoir le « futur crématorium ». Le travail s’accomplit avec ordre et rigueur, chacun prenant sa part de travail. « Bedrich s’emploie à l’harmonie des façades, à l’équilibre visuel de la construction dont la funeste vocation, par de longues intermittences, disparaît de son esprit. » De temps à autre, il lève les yeux vers ses camarades : « les visages concentrés gardent leur part d’énigme ».
Dans un livre où la parole est rare par nécessité, le sens doit circuler autrement. C’est le regard, en particulier, qui sonde l’opacité de cet univers faussement paisible où la menace est partout présente. Une fenêtre de la salle de dessin donne sur une cour où un prisonnier est brutalement entraîné vers une destination funeste, provoquant une éphémère chorégraphie parmi les témoins du drame. Lesquels se figent ensuite un moment à la lisière de ce théâtre comme frappé d’interdiction. Plus tard, un jour ensoleillé de printemps, Bedrich aperçoit une femme immobile, emmitouflée dans un manteau malgré la clémence du temps. « Ainsi, étrangement, dans le spectacle de cette femme offerte aux premières douceurs de la fin mars (…), ce que Bedrich distingue, ce sont surtout les duretés de l’hiver écoulé. »
Au cœur du livre, une partie se joue qui va consister à déconstruire les apparences, dire le mensonge, la cruauté, le mal à l’œuvre. C’est la tâche secrète que vont se donner Bedrich et les dessinateurs du camp. La nuit venue, « dessiner, peindre un peu de la vérité de Terezin. » Ensuite dissimuler dans une cache les travaux accumulés, en faire un témoignage qui contredira la version officielle livrée aux autorités complaisantes, à la Croix-Rouge notamment, qui viendra bientôt en mission d’inspection : « De petites échoppes en bois sortent de terre, à moins qu’il ne s’agisse que de leurs devantures. On bâtit un pavillon pour les enfants aux murs colorés (…) ». Cette « imposture aux allures de fête foraine » à quoi chacun dans le camp, le ghetto est sommé – et tenté – de croire, de participer.
La lucidité, le refus de la soumission ont un prix. Le très beau livre d’Antoine Choplin en fait entrevoir le montant exorbitant. Mais il laisse surtout au lecteur le soin d’imaginer « ce qui se noue à la jonction du vivant et du disparu, cette accolade que l’un et l’autre semblent se donner parfois, dans le secret ».
Jean Laurenti

Une forêt d’arbres creux
d’Antoine Choplin
La Fosse aux ours, 116 pages, 16

Derrière le visible Par Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°166 , septembre 2015.
LMDA PDF n°166
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