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Poches Faute de guerre, le chaos

janvier 2016 | Le Matricule des Anges n°169 | par Benoît Legemble

Superbe roman des armes suspendues, La Terre aux loups de Robert Margerit dit l’horreur en temps de paix. Un conte cruel où la pollinisation du mal s’enracine dans la famille.

La postérité peut être une chose injuste, qui vaut à certains les limbes d’une réception tronquée et oublieuse. Un linceul de silence qui fut aussi celui de Robert Margerit, lauréat du Grand Prix de l’Académie Française dans les années cinquante, reconnu avant tout pour son cycle romanesque en quatre volumes consacré à la Révolution française. Plus encore, Margerit bénéficia jadis de l’appui inconditionnel de Julien Gracq, qui dira de son Mont-Dragon qu’il fut le seul roman qui l’eut vraiment passionné depuis la Libération. La même année, en 1951, l’un sera auréolé du Renaudot pour Le Dieu Nu, l’autre du Goncourt pour Le Rivage des Syrtes. De son Limousin d’antan, l’ancien journaliste devenu lecteur chez Gallimard puisera la matière de ses romans ainsi qu’une haute conception de la terre comme pur ressort narratif, bien au-delà de la littérature de terroir et de l’idéologie allemande de la « Blut und Boden Literatur » – génératrice d’un genre où la guerre et le sol sont intriqués jusqu’au tragique.
Pourtant, c’est bien cet attachement au fatras de l’Histoire que manifestent les éboulis de schiste et la ruine boueuse de La Terre aux loups (1958). Quand, à l’heure des errances napoléoniennes contre l’ennemi héréditaire anglais et les soldats prussiens, le colonel Lucien de Montalbert voit la férule de l’Empereur affaiblie et le plan Wellington échouer. À la périphérie des corps de ferme et des vergers, dans la campagne wallonne, Lucien doit se résoudre à un combat qui ne viendra plus, tandis que survit en lui l’ « ivresse brûlante et furieuse », le vacarme des boulets qui éclatent, « l’odeur intime de la bataille » et de la poudre. Restent bien des « phalanges de héros », « des sillons de morts » et des agonisants. D’un revirement l’autre, Lucien voit les factions armées déboutées. Une humanité « la bave aux lèvres », trahie par un état-major en qui tous se sont remis. Entre servilité et vocation pour le drame épique, ses hommes clament leur fidélité pour le martyr de l’île d’Elbe. Lui n’est pas dupe des compromissions et de la rhétorique du sacrifice. Face à la désertion de Napoléon, il assiste à l’avènement des « ultras » royalistes.
Désormais, l’écueil des soldats tient donc en la paix civile, qu’il faut bien supporter. Les généraux souhaitent tous une gangrène pour avoir un bras à couper. Lucien aussi. « Car il appartenait par toutes ses fibres à ce monde défunt, à ses espaces qui avaient uni les sables brûlants de l’Égypte aux neiges de Russie, à son chatoiement d’uniformes, sa palpitation de drapeaux, ses orages de poudre et de projectiles, ses frénésies, ses triomphes, à l’enivrement de sa cruauté et de sa gloire. Un monde où l’on n’a ni maison ni femme ni enfants. Un monde d’hommes solitaires dans leurs propres multitudes : moines d’une religion sanglante, et qui n’avaient pour compagnes que la discipline, la fatigue, la souffrance et la mort. »
Par ce truchement, Margerit peint la dissolution des repères chez un homme à « l’univers noyé ». Il dit « sur le mode ironique la solitude et le désarroi du guerrier », « gêné de ne plus sentir le poids du sabre ». C’est alors que Lucien rencontre Violette. Une idylle hors mariage que goûtent peu les anciens jésuites et les locaux de Lern, à quelques encablures de Périgueux – où le couple s’installera. Ils auront trois enfants, devront affronter les rumeurs, la réputation salie. Violette croquée par les ragots des villageois ainsi qu’une gourgandine à soldats, Margerit saisit la sanguine d’une morale qui sent l’étable, la sauvagerie péniblement contenue. Rongé par l’envie d’en découdre, Lucien porte en lui le germe de la guerre. Il est un prédateur qui attend désespérément son grand soir.
Dans un climat délétère, la vie familiale s’organise, quand le couple se défait. C’est qu’à force de déception, le « désir pourrit » – porteur d’une violence essentielle qui ne peut plus être refoulée. Les troubles en Algérie, la lutte des Belges contre les Hollandais – tout porte à croire qu’une décimation est encore possible. Lucien espère. Ses propres enfants ne pourront plus coexister autrement que comme « trois ennemis enfermés dans une île », pleins de la faute du père. Reste La Terre aux loups comme les contours d’un monde à la lisière du désastre. Car Margerit, c’est tout à la fois le Balzac historique des Chouans et la méchanceté diabolique de La Cousine Bette. C’est la prière désespérée de Barbey souhaitant le vertige de la Restauration. C’est enfin Jean et Maurice à la veille du cataclysme de La Débâcle, chez Zola. Une sombre dynastie couleur « vin-de-lie », où la supplique se heurte à la mémoire étouffée et la dévoration. Seule demeure l’inextinguible lamentation, réussite littéraire rarement égalée, « d’un chien hurlant à la mort ». La cataracte des passions humaines sans sa planche de salut. Quand dans le noir il n’y a plus que du noir.
Benoît Legemble

LA TERRE AUX LOUPS
DE ROBERT MARGERIT
Libretto, 480 pages, 11,80

Faute de guerre, le chaos Par Benoît Legemble
Le Matricule des Anges n°169 , janvier 2016.
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