Entré en littérature avec un objet étrange qui envisageait sur le mode sérieux la résolution de la crise économique d’une Région par la mise en place d’un sex-center moderne et sophistiqué, Charles Robinson a tout de suite mis un niveau d’exigence très élevé pour canaliser son besoin de créer des mondes. Et quels mondes : ceux (pluriel de rigueur) des banlieues auxquels il a consacré les deux romans suivants dont Fabrication de la guerre civile qui sortira le 14 janvier prochain.
Même si la période est propice aux boules de cristal et aux tarots de Marseille, on ne garantira pas qu’avec son diptyque le jeune auteur se fera une place au soleil de la littérature contemporaine. Mais on est certain, pour le coup, que sa Fabrication de la guerre civile mérite de rester dans les annales. On n’en sort pas dans l’état où on y est entré, après avoir fait sur 640 pages l’expérience de langues, d’esthétiques et d’univers qu’on pensait, peu ou prou, connaître. Le premier opus du diptyque, Dans les cités, nous avait permis de rencontrer un auteur qui, il y a cinq ans, jouait avec dextérité de tous les tons possibles du roman. Les lecteurs du Matricule ont appris à guetter, chaque mois, la signature du bonhomme au bas de sa chronique « Les Mains dans la lutte » à laquelle on a eu la bonne idée de mettre fin en juillet dernier. Sinon, par vieille déontologie, on aurait dû passer sous silence la sortie de Fabrication de la guerre civile, au risque de provoquer par rage contenue : ulcère, rupture d’anévrisme, occlusion intestinale ou AVC carabiné. Parce qu’on le dit encore avant de le répéter plusieurs fois : Fabrication de la guerre civile est un foutu bon livre.
Son auteur est né en 1972 à Paris. Il hésite à le dire tant le matériau autobiographique a du mal à passer la gorge et les cordes vocales. On savait, en venant dans l’appartement parisien où il habite, qu’il serait difficile d’arracher à notre hôte des bribes d’une vie dont ses livres ne disent rien. On saisit pince et scalpel et on extrait des digressions auxquelles l’homme se livre l’indication que ses parents devaient à l’époque habiter « Évry ou un truc comme ça ». Le père conduit des camions pour La Poste et la mère est secrétaire dans une PME : tous deux sont les enfants des Trente Glorieuses, issus de familles provinciales dont les rejetons sans diplôme viennent vivre à Paris pour y décrocher un emploi dans le tertiaire.
Du peu de souvenirs qu’il garde de son enfance, Charles Robinson sauve l’image d’un tout petit appartement avec toilettes sur le palier entre deux étages. Sans être la misère, « c’est le degré zéro des classes moyennes. Mes parents sortent de milieux d’ouvriers, d’artisans ou de paysans et entrent dans ce qui deviendra la classe moyenne ». Un autre garçon naîtra « cinq ou six ans après moi », puis la famille déménagera sur Marne-la-Vallée, la ville nouvelle qui n’accueille pas encore Disneyland. « Mes parents accèdent à la propriété, à un peu plus de...
Dossier
Charles Robinson
Se mettre au monde
Englué dans le déterminisme des Trente Glorieuses déclinantes et la grisaille triste d’une enfance sans élan, Charles Robinson s’est ouvert par le biais de l’art et de la littérature d’affamées fenêtres sur le monde. Histoire d’une renaissance.