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Poésie Les foules repartaient, tristes

janvier 2016 | Le Matricule des Anges n°169 | par Xavier Person

Le Serment du Jeu de Paume

On l’avait tout de suite su, les mots allaient être inappropriés. On tentait de penser ce qui venait d’arriver mais c’était si maladroit et sans effet. On essayait d’ouvrir un livre mais cela se défaisait aussitôt, cela faisait comme une vague de mots qui emportait tout, ne laissait que des mots épars qu’on ne pouvait pas rassembler, on ne trouvait plus trop de sens à tout ça. Il nous fallait prendre le temps de ne rien savoir dire, ne rien savoir lire, il aurait fallu pouvoir lire ou pouvoir dire tout ce qu’on ignorait, ce qu’on ne savait pas penser ou dire on rêvait de pouvoir en faire quelque chose, on ne savait pas trop.
« Traverser la douleur et n’en rien savoir  », disait le premier vers d’un poème. On a voulu lire un poème pour s’en remettre au hasard, à ce qu’on ignorait, à ce qu’on ne savait pas lire, pas comprendre. On a lu sans à peu près rien saisir, presque rien, c’était étrange et des nuages noirs perdaient de leur signification, des nuages de plus en plus sombres s’amoncelaient et il y avait pourtant des sortes de clartés, insaisissables certes et fragiles, certes aveuglantes. Cela faisait de brusques suppléments de sens et puis plus rien, le sens reculait.
Les noms avaient été retirés aux choses, disait le poème. Il disait aussi qu’il allait falloir trouver autre chose à dire, on ne savait pas ce que cela voulait dire. On lisait un poème dont on ne saurait rien dire, c’était ce qu’il nous fallait. On pouvait ne pas savoir quoi dire tout le temps qu’on lisait, c’était aussi simple que cela, cela faisait une ombre qui ne révélait rien. C’était illisible et lisible et cela allait bien à ce moment où on ne pouvait plus, on voulait ne plus pouvoir penser, tout restait suspendu. Il y avait un temps pour ne pas comprendre et le poème nous aidait à comprendre cela, à le désirer même et même le désir revenait : « Qu’étaient ces interruptions / Qui nous ont amenés ici, avant de nous forcer à nous embarquer, / sinon des tentatives sincères / Pour comprendre et, partant, désirer quelqu’un, peu importe / Qui, et puis, abandonnés de nous-mêmes, de nous assurer les / moyens / De le désirer pleinement avant nous trouver au dernier moment / Décontenancés d’avoir une chance pareille : ce sentiment, invisible / mais vif.  »
On détestait lire ce poème qui ainsi nous ramenait à nous-même, on aurait vraiment préféré ne pas le lire et d’ailleurs le lisait-on vraiment, si tant est que lire soit ramener des choses à la surface de la conscience, si lire est bien attraper quelque chose et non pas juste se laisser happer par un mouvement qui nous submerge, nous rejette désemparé sur le rivage du poème, décontenancé de n’avoir rien su en faire alors qu’il y avait eu comme une chance à saisir, quelque chose nous aurait échappé.
Bref, il n’y avait pas de raison à ce que nous vivions. Le poème de John Ashbery s’appelait « Vague » dans la nouvelle traduction que nous avions entre les mains. C’était un ordre aussi bien, un conseil d’ami : vague, va au hasard, cède à cette extravagance qui s’ouvre à toi, prend le chemin du rêve et du hasard, accepte de ne plus savoir où tu vas, l’amour que tu auras reçu est comme la vie, il n’a nulle raison d’être, il n’y a nulle raison d’être. L’inattendu seul est à comprendre, l’insoupçonné. Rien de ce que tu croyais savoir ne t’aidera à saisir un sens à ce qui vient d’arriver. Dans la tempête si sombre où tu es pris, les fusées éclairantes ne sont pas celles que tu attendais. Vois comme elles déchirent le ciel. Vois comme tout est ébloui et comme tout arrive dans cet éclat.
Lis ce poème, me disais-je, comme on cherche à déchiffrer le sens d’une tempête. Établis des conjectures à partir de cette obscurité qui poursuit sa route vers nulle part. Et puis je lisais les autres poèmes d’Ashbery, dont on avait attendu si longtemps la traduction, il y avait au moins cette bonne nouvelle, je tenais Vague et Le Serment du Jeu de Paume entre les mains. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’il y avait malgré tout encore une sorte d’espoir à tenter de lire cela. Je n’aurais pas su en dire plus. À la page 43 du Serment, je soulignais ce vers : « Nous fuyons / En dévalant l’échelle de nuages, mais le problème n’est pas résolu.  » À la page 44 : « Sa main ne menant nulle part.  » À la page 48 : « Les foules repartaient, tristes.  » Puis je ne soulignais plus rien. Xavier Person

JOHN ASHBERY LE SERMENT DU JEU DE PAUME
Traduit de l’américain par Olivier Brossard, José Corti, 146 pages, 18
VAGUE Traduit par Marc Chénetier, Joca Seria, 138 pages, 21

Les foules repartaient, tristes Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°169 , janvier 2016.
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