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Domaine étranger Une anecdote pour l’histoire

mars 2016 | Le Matricule des Anges n°171 | par Sophie Deltin

Par son art de conteur, Vladimir Vertlib enthousiasme avec l’histoire haute en couleur d’une femme juive dans la Russie du XXe siècle jusqu’à son émigration dans l’Allemagne des années 90.

L' Étrange mémoire de Rosa Masur

Fin des années 90, Rosa se résout à quitter la Russie de la perestroïka pour rejoindre, avec son fils et sa belle-fille, son petit-fils Sacha, « réfugié du contingent » de Juifs russes dans une petite ville d’Allemagne. « C’est vraiment une grande chance, devisait il y a encore peu Kostik dans la cuisine de leur appartement communautaire de Saint-Pétersbourg, que les Allemands aient si mauvaise conscience de nous avoir saignés comme des cochons. Comme ça, certains d’entre nous ont maintenant le droit de s’installer en Allemagne. Les Allemands récupèrent ainsi leurs Juifs et nous, nous avons la vie plus belle. » Un peu plus loin, il se ravisait déjà : « En Allemagne, ce n’est non plus si rose que ça. On raconte que là-bas, des incendies éclatent dans les foyers des demandeurs d’asile et que les étrangers sont victimes de violences. Au fond de leur cœur, ils n’ont pas changé, les Allemands » « - Pourquoi vous n’allez pas en Israël ? renchérit Svetlana la voisine. Vous êtes juifs après tout … » Né en 1966 à Leningrad, Vladimir Vertlib a lui-même quitté la Russie en 1971 pour aller vivre en Israël avec ses parents, des militants sionistes. D’un exil l’autre, il finira par s’installer en Autriche. Sous sa plume à la fois grave et enjouée, servie par un art du dialogue et un sens de la drôlerie fortement évocateur du comique yiddish des écrivains d’Europe centrale, les sons, les mots et les images du judaïsme en terre russe mais aussi l’exil, l’émigration, les difficultés propres à la nouvelle vie des émigrés parviennent avec grande justesse jusqu’à nous. Fraîchement arrivée, voilà que Rosa, 92 ans, parvient à se faire sélectionner comme représentante de sa minorité pour participer à la publication d’un recueil de témoignages censé œuvrer à l’intégration d’immigrés récents dans la ville d’accueil. Pour chaque entretien, elle recevra 50 marks, avec à la clé, une réception chez le maire ainsi qu’une grosse rétribution. Rosa a beau ne pas être dupe de cette mise en scène très politiquement correct des canons occidentaux de la mémoire, l’occasion est inespérée…
Née en 1907 à Vitchi, une petite bourgade en Biélorussie, Rosa Abramovna Masur a tout enduré du sort miséreux assigné aux Juifs de la Russie tsariste. Au fin fond des souvenirs, il y a le shtetl de son enfance où « les grincements de porte étaient présages de malheur ». Fallait-il rester ? émigrer ? s’engager dans la lutte politique ? Lorsqu’arrive la guerre de 1914, la tentative de la famille de quitter la Russie pour rejoindre leur fille aînée déjà exilée au Canada et ainsi, sauver de l’enrôlement le fils Moyshe, qui a déserté l’armée, tourne court. Au lieu de les emmener en Galicie autrichienne, un passeur, baptisé « Le libérateur », les abandonne dans un coin inhospitalier de l’Empire du tsar. Le vent de l’Histoire n’en finit pas de souffler et conduit Rosa dans l’aventure de la construction du communisme à Leningrad où elle devient ouvrière dans une usine. Là, tandis que fait rage la terreur politique, elle connaît l’amitié avec Macha devenue son « inséparable compagnon de route » même après sa mort. S’ensuivent des pages de haute intensité sur la misère et la famine durant le siège de Leningrad lors de la Grande Guerre patriotique contre le fascisme nazi. Devenue traductrice de l’allemand sous Staline, Rosa doit lutter contre l’infernale bureaucratie soviétique afin que son fils puisse faire des études. Mais l’éternel combat de Rosa, c’est l’antisémitisme, primaire, incurable, recyclé ad nauseam, avec son cortège de discriminations, de persécutions. « Pourquoi avais-je survécu moi ? » se demande-t-elle le jour où revenue à Vitchi, elle apprend que tous les Juifs ont été assassinés en 1944, dont ses parents. Pour effacer les traces de leurs crimes, les nazis avaient déversé leurs cendres dans la rivière. Devant les ruines de sa maison d’enfance, songeant à la dissolution des êtres aimés emportés au loin, de la mer Noire jusqu’en Méditerranée, elle se console : « Tu vois, maman, tu es finalement sortie de notre misérable trou. »
Traversée épique dans les cauchemars du siècle autant que dans les récits et légendes dont au nom des siens l’héroïne prend en charge la mémoire vivante, le roman de Vladimir Vertlib, traduit pour la première fois en français, rend compte avec brio du recours et du secours que constitue la littérature dans la remise en présence d’un monde disparu. Les talents de conteuse plein de verdeur de Rosa vont parfois au-delà de la réalité remémorée, mais celle qui au fil des épreuves a su pratiquer une forme de détachement intérieur estime être « déjà trop vieille pour penser que la frontière entre la moralité et l’immoralité est comme celle qui sépare la vérité du mensonge. » Ainsi, ultimement, la vieille colporteuse d’histoires pourra-t-elle savourer les effets dérisoires mais ô combien touchants de son pied-de-nez aux mensonges assassins de l’Histoire.
Sophie Deltin

L’étrange mémoire de Rosa Masur
De Vladimir Vertlib
Traduit de l’allemand (Autriche) par Carole Fily, Métailié, 420 p., 22

Une anecdote pour l’histoire Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°171 , mars 2016.
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