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Égarés, oubliés Titans et sirènes

mars 2016 | Le Matricule des Anges n°171 | par Éric Dussert

Peintre, Francisque Monnet a portraituré l’empereur mais il s’en est aussi moqué dans un roman d’aventures inouïes qui provoque la sidération.

C’est un curieux personnage que Francisque Monnet, un type comme il arrive d’en dénicher un caché dans les plis des longs rideaux de l’Histoire, fantasque et discret, énigme plus que révélation. Celui-ci, artiste peintre, est né au 27 de la rue de la Poissonnerie à Tournus avec le prénom de François le 19 mars 1822 dans une famille d’ouvriers d’art. Des maîtres serruriers. Lui suit une ambition plus artistique. On le trouve élève de l’école des Beaux-arts à Lyon. L’époque a besoin d’artistes car la photographie n’a pas encore raflé le marché du portrait « ressemblant ».
Faute d’avoir encore poussé assez loin les recherches, on ignore le détail de la carrière de Monnet. Il laisse toutefois un portrait de Napoléon III et un autre de l’Impératrice Eugénie que possède le musée de Briançon, et le musée Greuze détient pour sa part des esquisses, une paire de toiles mythologiques et un autoportrait. Rien de mieux. Deux catalogues nous apportent des indications en le mentionnant en 1849-1850 parmi les exposants du Salon de Lyon, puis, en 1863, parmi ceux du Salon des Refusés à Paris. Dernière ces maigres pistes, l’Argus-Charivari de Lyon donne de lui une gravure représentant « Le Bal de la mi-carême au Colisée ». Serait-il allé en Italie comme tous les artistes de son temps ? Et a-t-il voyagé plus loin ?
C’est sa bibliographie qui nous porte à ces questions car l’artiste était aussi un polygraphe. En 1853, il publie les paroles et la musique d’une élégie, L’Apparition ! (Paris, A. Grus), neuf ans plus tard, c’est en pédagogue pratique qu’il lance la plaquette du Collège international à bon marché et, pièce maîtresse, à l’âge de 54 ans, Une histoire au-dessus du crocodile, curiosité des curiosités, un livre aussi étrange que possible. Façonné à Saint-Étienne en 1876, ce modeste in-16 de 261 pages nous prend par surprise : son titre est impayable et il n’est même pas illustré – les coûts du compte d’auteur ont dû interdire ce luxe. Quant au titre, il s’explique par le prétexte du récit qui voit un groupe de savants et de dessinateurs de l’expédition d’Egypte (1798-1802) à la merci d’un crocodile menaçant. Pour se protéger, ils se sont hissés sur un rocher et se racontent des histoires pour faire passer le temps en attendant le départ de la bête. Sur le caillou débute alors une relation inouïe avec îles polynésiennes, marins, banquise, civilisations anciennes (dont les voix congelées nous parviennent) et sirènes, bref un roman digne de figurer dans les anthologies de la littérature d’imagination et ne figurant même pas dans l’Encyclopédie de l’Utopie et de la Science-fiction de Pierre Versins.
Si Edgar A. Poe n’avait pas publié en 1836 les Aventures d’Arthur Gordon Pym, notre Francisque aurait pu prétendre à un principat littéraire et à une reconnaissance dans les histoires de la littérature aux côtés de Petrus Borel ou de Lautréamont. Malheureusement, on doit supposer qu’il a peut-être lu la traduction française du chef-d’œuvre de Poe publiée en 1858. Si ça n’est pas le cas, ce gars avait du génie et une faconde unique. Il n’y a qu’à remarquer combien sont intéressantes ou surprenantes, pour ne pas dire hilarantes, certaines de ses positions esthétiques et de ses pensées. Petit florilège.
Sur Rossini : « Mais pour bien comprendre la musique de ce maître, il faut avoir au moins quarante-cinq mille francs de rentes, un abdomen bien développé, une redingote à la propriétaire, une tabatière de platine à la main et un parapluie sous le bras ». Puis il moque « Napoliau, empereur des Flazets » et donne dans le socialisme : « Votre agriculture est florissante, j’en conviens ; mais le sol étant toujours accaparé par une poignée d’hommes rapaces et indifférents, il s’ensuit de là que celui qui cultive, ensemence et récolte, n’a plus rien à prétendre quand son travail est terminé, parce que cela n’est pas à lui. Tels sont les résultats de vos lois et la morale de votre religion. » Et lorsqu’il fait le moraliste, Monnet est ravageur : « Le mieux est de ne point voir les défauts des gens dont nous avons besoin. » « Vous êtes singuliers, vous autres Européens, vous avez toujours cinq ou six vêtements, tandis que vous n’avez jamais qu’une seule femme ».
S’amusant comme un petit fou, il ose à peu près tout ce qui lui passe par la tête. Mais il l’admet lui-même : « un discours de la couronne m’a toujours produit l’effet des fantastiques élucubrations d’un huissier amoureux, chantant des vers à sa belle, juste un quart d’heure avant de lui emporter sa paillasse. Tel est mon tempérament. » Et d’embrayer en tapant à bras raccourcis sur les énarques de son temps : « – Mais, objectai-je, il faut encore des capacités pour administrer./ – Au contraire, quand on est en place, il ne faut que des capacités digestives et pas d’autres ; et si l’on me créait grand référendaire à la Cour des comptes ou surintendant des Beaux-arts, j’aimerais autant, en mon âme et conscience, être nommé épousseteur général des paratonnerres de l’État, c’est-à-dire rien du tout, très-persuadé que je suis qu’il est immoral d’entretenir, à grands frais, des hommes qui s’accagnardissent dans une fastueuse stérilité. »
Trois ans après ce feu d’artifice, Francisque Monnet cassait sa pipe à Tournus, le 13 octobre. Naturellement, le destin d’une telle météorite est de reparaître un jour.
Éric Dussert

Titans et sirènes Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°171 , mars 2016.
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