À l’occasion de l’ouverture prochaine de l’exposition Colette à la BnF (fin septembre), ressurgira peut-être la figure d’une des plus discrètes amies de l’écrivaine, Renée Hamon. Native de Vitré (24 juin 1897), fille d’un petit employé breton de la perception locale et d’une Limousine, elle a 3 ans lorsque ses parents divorcent et la confient à sa grand-mère qui l’élève. Elle effectue ses études qu’elle termine au lycée d’Orléans, assez tôt puisqu’elle ne dépasse pas la classe de seconde. En 1917, à tout juste 20 ans, elle épouse un graveur, Michel-Paul Faure dont elle divorce après qu’un accouchement se finit tragiquement pour l’enfant. Elle s’installe à Paris, y rencontre un soldat américain qu’elle suit au Texas, où il est bourrelier. La vie sédentaire, déjà en 1923, ne lui convient pas… Répétitrice quelque temps à Long Island, elle revient à Paris finalement où l’attend une joyeuse vie de bohème. Elle est modèle pour des peintres, s’imagine actrice de cinéma dont c’est l’âge d’or, sera bien peintre aussi. Elle côtoie le dandy Pierre Borel et entreprend le tour du monde à bicyclette. Alors qu’elle contacte Paul Poiret, le couturier en vogue, pour devenir top-modèle à l’instar d’une Renée Perle, la muse de Jacques Henri Lartigue, Poiret tombe sous le charme de cette vibrionnante jeune personne et la présente à Colette dont il a l’amitié. Renée s’entiche alors de l’écrivaine, la harcèle quelque peu de bouquets de daphnés et de courriers au point que Colette ne daigne lui répondre qu’à partir de 1931, comme en témoigne leur correspondance publiée par Roberte Forbin et Claude Pichois (Lettres au Petit Corsaire, Flammarion, 1963), soit une centaine de lettres publiées jusqu’au 23 octobre 1943, trois jours seulement avant la mort de Renée à Vannes.
Dès 1935, elle trouve sa place dans le monde : c’est-à-dire partout. L’aventure l’a envoûtée… « L’aventure ? Disait-elle encore. C’est simple : un jour, ça t’empoigne comme d’aller au cinéma quand il pleut. Tu prends ton sac sous le bras, tu dis au revoir à la concierge, tu pars. » Et de conter l’exemple d’un Français de Beauce, « qui a cinquante-deux ans n’avait jamais vu la mer. Un beau jour, ce campagnard revenant du marché, se mit à lire un journal en fumant sa pipe. Il lut au hasard des pages un mot : Tahiti. Tahiti, se dit-il, eh ? – Trois mois plus tard le Beauceron débarquait dans l’île Heureuse. Avec une provision de camemberts, mis naturellement au froid. Parce qu’il aimait les camemberts et c’était tout ce qu’il emportait de France. » Dans un article de Carrefour que le journaliste Jean Hellé (i.e. Morvan Lebesque) s’était rappelé le 11 mai 1949 quelques anecdotes de ses rencontres avec Renée Hamon, petite « femme tirée à quatre épingles », qui, à bicyclette ou en bateau, était devenue grande reportère-voyageuse, comme le seront une Claude Eylan et, beaucoup plus tard, une Gabrielle Wittkop en Asie du Sud-Est. Genre ascendant, la presse magazine avait le vent en poupe et les titres naissant à un rythme effréné réclamaient toujours plus de papiers, de colonnes, de sujets, de photographies. Les voyages de Renée Hamon étaient pain béni pour Vu, Eve, Voilà et jusqu’à des quotidiens comme L’Intransigeant publiaient volontiers sa copie.
Fruits de ses reportages à Moorea, Bora-Bora, Papeete ou Maupiti, deux livres virent successivement le jour, Aux îles de lumière (Flammarion, 1939) puis quatre portraits d’aventuriers réunis sous le titre d’Amants de l’aventure (Flammarion, 1943) dans lequel jaillissait à nouveau son sens de la justice due aux populations insulaires, maltraitées par les successifs gouvernements de métropole laissant allègrement les rênes aux notabilités coloniales… N’empêche que l’impétueuse voyageuse n’aura pas hésité à rendre ses livres colorés, donnant la parole aux gens de peu et à quelques personnages pittoresques, comme cet Européen malicieux qui lui déclarait : « Quand j’arrive dans un pays nouveau, me disait un de mes amis (peintre sicilien de grand talent), la première chose que je fais pour “piger” la couleur locale, c’est d’aller au b(ordel) ! », et Renée d’ajouter en épigraphe cette fameuse phrase de Lyautey, « On ne colonise pas avec des pucelles. »
Pour Renée les voyages polynésiens deviennent de plus en plus tristes, la population locale lui apparaissant de plus en plus rongée par les maladies importées et ce cancer de la modernité qui salit tout. En août 1936, alors qu’elle embarquait pour la Polynésie française sur le paquebot Eridan, elle avait encore le projet d’un grand reportage en couleurs tourné par un chef opérateur de la British-Franco Film. Le résultat ne fut pas patent, contrairement à son film sur Gauguin qui marqua les esprits (1939).
Les dernières années de Renée sont difficiles, car impécunieuses. La Seconde Guerre mondiale et la maladie l’empêchent de remobiliser son énergie sur un autre projet, qui ne verra pas le jour, d’un essai sur Colette et l’amitié. C’est l’oncle de Francis Ponge, Maurice Saurel, qui la soutient financièrement. Le 18 juillet 1943, Colette avait écrit à son amie rongée par l’éléphantiasis contractée aux îles Marquises, « Il faut bien que de nouveau, un jour, tu appareilles = Que tu sois de nouveau cette petite effigie de l’aventure, debout sur un bateau, avec une voile derrière toi comme une aile ! »
Éric Dussert
Aux îles de lumière (suivi de) Amants de l’aventure,
de Renée Hamon, préface de Colette, Archipel/Archipoche, 432 pages, 14,90 €
Égarés, oubliés Adieux à la concierge
septembre 2025 | Le Matricule des Anges n°266
| par
Éric Dussert
Amie de Colette, Renée Hamon est devenue une des voyageuses caractéristiques de la grande époque des magazines illustrés.
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Adieux à la concierge
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°266
, septembre 2025.
