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Poésie Savant murmure

avril 2016 | Le Matricule des Anges n°172 | par Emmanuel Laugier

Trois livres de James Sacré réunis en un, dont les manières poétiques tressent une lyrique discrète et sobre, entre variations du regard et basse continue du cœur.

Figures qui bougent un peu et autres poèmes

Tomber sur un vers de James Sacré, ou l’une de ses proses, dont l’inoubliable Rougigogne (1983), ouvre immédiatement en nous une micro-histoire d’enfance et d’émotion rentrée. La langue se fourche, s’attachant, dans sa tonalité naïve, à dire le nœud commun où tout s’enchevêtre, des paysages traversés aux vieilles mémoires des gestes donnés, abandonnés ou défaits. « Figure 17. », par exemple, sur les 46 de celles qui bougent un peu (1978), évoque que c’est « Au cœur mais tout pareil on pourrait dire que c’est au bord / d’un paysage en pierre étagements de murettes elles se défont / un pays tellement proche et loin dans le temps maisons mal restaurées /(…) la même longue répétition pour on sait pas trop quoi pays gratté / où le thym pousse avec les pierres quelque chose continue / le bord dessiné presque des pentes le bleu qui s’éboule  ». « Une semblable manière de patience avec des laines tricotées  » vient faire un lien entre chaque lecteur, là même où rien ne l’imagine. On pourrait penser, avec cette laine fragile, accrochée dans la touffe d’un buisson, à la fresque du bon gouvernement (1338-39) d’Ambrogio Lorenzetti, sur laquelle une corde passe entre les mains des citoyens jusqu’au sommet de l’État, puis jusqu’au ciel : une pensée du lien, tacite, mais décidé et destiné à tous, que la langue aurait la force de créer, d’exposer et d’appeler, et que Sacré rappelle à sa tâche, à demi-mot. Dans La Poésie, comment dire ? (1993), le mot aimer l’explicite bien : « Je voudrais qu’écrire ce soit comme un mouvement du cœur (visage tranquille, ou les vêtements défaits) dans l’agencement des phrases ». Le projet d’écriture s’éclaire de ce constat, sans amertume, mais juste placé à son endroit de rayonnement de presque idiotie (parente de Walser) : « après même un peu de succès des livres publiés / (est-ce que c’est pas dit sobrement tout ça avec la modestie convenable / si ça pouvait tout attraper qu’on pense / la phrase bousculée juste un peu pas plus comme il faut) pourtant / après tout ce détour je vois bien que c’est retrouver la même indigence / aussi mal dessinée que dans mes cahiers de collège  » (« Figure 12. »). Indigence, le mot est trop fort, trop passionné. Pourtant Sacré s’avance sur cette brèche, et de plus en plus fermement elle travaille le cœur de son écriture, révélant la part manquante de tout poème, sa claudication, le mélange qu’il pense aussi entre les langues (le patois de son village de Vendée, le français de la République, puis l’anglais où il s’enlise et qui est comme une algèbre…).
Le poète Olivier Barbarant écrira de la lyrique si reconnaissable de Sacré qu’elle s’apparente à un « savant murmure  », lequel dira « le lien de la main et de la manière, voire du maniérisme ; l’alliance volontaire entre grammaire et graminée  », et « l’art de la disposition et les articulations du discours plutôt que le moderne privilège de l’image comme définition de ce que serait la poésie  ». Façons de nommer aussi ce que Sacré importe des interrogations de Ponge sur son propre travail, ne cessant de reprendre les motifs simples, parfois prosaïques (un tuyau, les patates que le père tient entre ses mains, une petite barque souvenue d’un tableau de Lorenzetti, etc.), et bien sûr ce fond tout aussi impersonnel que directement tourné vers soi qu’est le paysage…, ce grand motif vibratile dont les poèmes de James Sacré sont recouverts.
Du deuxième livre qui suit Figures qui bougent un peu, Quelque chose de mal raconté (1981), Antoine Emaz rappelle que sa dernière section se titre « réflexion sur un paysage américain au loin ». Sacré s’en empare comme un objet de pensée, mais avec assez de délicatesse pour le réfléchir sans le conceptualiser. Cette réflexion, sensible, sentimentale et naïve, sans référence à un savoir abscons (qui serait objet d’une distinction, selon Bourdieu), est aussi conduite avec une pudeur exemplaire dans Une Petite Fille silencieuse (2001) : « C’est en somme une Toussaint trop douce, je m’en aperçois mieux / Maintenant que me voilà sorti. J’aime bien avoir des jeans rouges, un blouson gris, / Pour marcher entre les chrysanthèmes et les bruyères en pots. / J’ai voulu réfléchir à ce qu’est le lyrisme, et c’est resté sans conclusion. / Mais sur le banc où je me suis arrêté, il me semble qu’écrire avec autour les gens qui passent / En frôle un peu l’apparent mystère  ».
Emmanuel Laugier

Figures qui bougent un peu et autres poèmes
de James Sacré
Préface d’Antoine Emaz, Poésie/Gallimard, 278 pages, 8,10

Savant murmure Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°172 , avril 2016.
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