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Domaine étranger Une lumière dans le ghetto obscur

mai 2016 | Le Matricule des Anges n°173 | par Sophie Deltin

Arraché au désastre, le journal de Yitskhok Rudashevski restitue la vitalité opiniâtre d’un adolescent enfermé dans le ghetto de Wilno en 1941.

Entre les murs du ghetto de Wilno 1941-1943 : Journal

Suite de moments saisis sur le vif, le journal de Yitskhok Rudashevski commence par l’évocation, probablement a posteriori, de journées paisibles et lumineuses du mois de juin 1941. Le jeune Lituanien n’est alors plus tout à fait un enfant. Membre des pionniers, partisan convaincu du régime communiste, c’est un adolescent impatient de partir dans un camp de vacances à la campagne. Le 21 juin, lorsqu’éclatent des bombes sur la ville, présageant l’invasion des nazis de la Lituanie avec bientôt la déroute des Soviétiques, c’est en toute confiance qu’il observe le soldat de l’Armée rouge qui monte la garde dans la cour : « Je me sens sûr de lui. Je vois qu’il est là, il ne va pas disparaître avec le soleil. Il sera peut-être tué, mais l’étoile sur sa casquette s’est levée pour demeurer à jamais. » C’est pourtant un exil radical qui s’amorce avec les premiers pillages, les premières rafles. Avec ce moment surtout où Yitskhok aperçoit dans la rue les vêtements des Juifs de Wilno : « J’ai ressenti alors la brûlure de ces grands ronds de tissu jaune sur leur dos. » Submergé par l’humiliation, il réalise dans le même temps que quelque chose en lui n’abdique pas, demeure sauf : « La rouelle est accrochée sur notre manteau, mais notre conscience n’est pas touchée. » Puis vient septembre 1941 avec l’arrachement au foyer et l’enfermement dans le ghetto – des scènes sorties droit « du Moyen Age ». Dans cette « prison » commencent alors la lutte infernale contre la promiscuité, l’exposition à la mort, mais aussi le combat contre la faim, l’abattement et l’ennui. « Est-il normal, en mes meilleures années, de voir cette seule ruelle, ces quelques cours encloses, étouffées ? » note-t-il le jour de ses 15 ans. Les rafles se succèdent à l’aveugle, il faut s’entasser dans ces malines où l’on dissimule aussi de la nourriture et des livres – c’est dans l’une de ces caches que ce journal tel un cœur toujours battant mais profondément enfoui sera miraculeusement retrouvé après la liquidation du ghetto.
Un jour, pressés de s’enfuir pour trouver une cache plus sûre, lui et sa famille sont contraints d’abandonner la grand-mère à son funeste sort : « En moi brûle un brasier de douleur, de chagrin et de colère. Je sens que nous sommes comme des moutons, on nous abat par milliers et nous sommes sans défense. » enrage-t-il impuissant. Le désarroi semble irrémédiable à la mort du professeur Gerstein, chef de chorale et « grand éducateur », figure généreuse de cet extraordinaire bouillonnement culturel juif qu’alimentait en son sein la capitale balte – cette « Jérusalem de Lituanie » comme le rappelle Gilles Rozier dans sa préface. Au fil des jours, les yeux de l’adolescent se dessillent sur le « massacre » qui s’exerce contre eux « de façon raffinée, planifiée » tout autant que sur la nature du Mal à l’œuvre à l’intérieur du ghetto où d’autres murs, invisibles, n’en finissent pas de dresser les hommes entre eux : ainsi de la collaboration des policiers juifs avec les nazis ou encore des compromissions ordinaires au nom d’une survie dérisoire. Pourtant, par-delà ce mélange de terreur, de désespoir et de révolte, le journal résonne des multiples actes de croyance en l’avenir que pose le jeune homme. La peur plane, intense, mais l’ardeur à s’instruire, à apprendre, à transmettre est encore plus tenace. Une fois l’école rouverte, quand il n’est pas à s’occuper du ménage et des repas pour ses parents, Yitskhok ne rate aucun cours ; littérature, sciences, musique, il participe à des cercles, des exposés et des débats. La conscience de ses dons l’oblige et dans cette injonction à devenir coûte que coûte « (s)on propre maître », Yitskhok est guidé par les livres d’écrivains yiddish, ceux-là mêmes que les nazis sont si zélés à détruire. Qu’il entreprenne avec d’autres camarades de recueillir le folklore du ghetto – « comme un trésor pour le futur », qu’il rejoue avec eux le procès d’Hérode, il s’agit toujours, en un geste de fidélité à la jeunesse et aux promesses qu’elle recèle, de s’obstiner à exister, de faire prévaloir la résistance active de l’esprit contre l’entreprise d’anéantissement. Et d’inscrire, au cœur de ce présent impossible, le temps de l’écriture car dit-il, « tout doit être consigné et enregistré, même le plus sanglant ».
Parenté en cela à d’autres actes de témoignage conquis sur la destruction du sens et la déshumanisation, le journal de Rudashevski porte trace des efforts de l’adolescent pour faire tenir encore le temps et le monde – monde dont il scrute d’ailleurs le moindre signe encourageant. Ainsi la défaite de Stalingrad essuyée par les nazis suscite-t-elle un regain d’espérance même si demeure omniprésente la conscience du danger – « le pire peut nous arriver à tout instant… » écrit-il le 7 avril 1943. Clairvoyance cruelle de ces mots qui interrompent brutalement le journal comme à l’extrême bord de l’abîme. Le 1er octobre 1943, Yitskhok Rudashevski meurt non loin de Wilno, à Ponar. Exécuté.
Sophie Deltin

Entre les murs du ghetto de Wilno 1941-1943
de Yitskhok Rudashevski
Traduit du yiddish par Batia Baum, L’antilope, 192 pages, 16

Une lumière dans le ghetto obscur Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°173 , mai 2016.
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