Je suis Fassbinder pose questions, plein de questions. Entre autres : « Qu’a-t-on encore le droit de dire au théâtre, qu’est-ce qui va trop loin ? » et « Que fait-on maintenant du théâtre face à ce qui se passe ici et maintenant autour de nous en nous ? / Juste mettre en scène Les Trois sœurs de Tchékhov comme si de rien n’était ? / ou une comédie de Yasmina Réza ? / ou bien sans savoir exactement ce qu’il finira par en sortir juste s’y coller, juste commencer par ses propres bribes de pensées, ses propres peurs, tout ce que je ne comprends pas ici et maintenant, tout ce qui ne me laisse pas en repos / tenter / saisir/ en quelque sorte / en faire un matériau ».
Falk Richter met en scène une troupe qui s’empare de l’œuvre de Fassbinder pour remettre la politique au centre du théâtre. Ils partent d’interviews, d’extraits de ses pièces Gouttes d’eau sur pierres brûlantes et Les Larmes amères de Petra von Kant et tournent un remake de son film L’Allemagne en automne réalisé en 1977 au moment où l’état d’urgence est décrété face au terrorisme du groupe Baader-Meinhof. Tout cela résonne singulièrement. Cinq personnages jouent donc à Fassbinder, sa mère, son amant, la troupe en train de répéter, de s’engueuler, de douter et de débattre du monde d’aujourd’hui. La pièce aborde ainsi l’accueil des immigrés en Allemagne, la politique d’Angela Merkel, les incendies des foyers de réfugiés, l’état d’urgence en France, l’histoire de l’Europe. Elle parle surtout de la grande peur qui nous gouverne et attise la montée de la violence et des extrémismes. Le texte est foisonnant, comme les méandres de la pensée en train de s’élaborer. En 1977, à la fin de son film, Fassbinder pousse sa mère à exprimer ce que « la majorité des Allemands pensent mais sans l’exprimer ouvertement face au terrorisme : le souhait qu’arrive un dirigeant autoritaire, très gentil… » Le parallèle avec aujourd’hui est encore une fois saisissant. Il y a de nombreux passages chocs et percutants dans ce texte en même temps le lecteur sort un peu abasourdi et sans voix de toute cette matière.
Fassbinder préconise, et encore il ne semble pas entièrement convaincu, de détruire l’injustice de cette société par les moyens de l’art. Falk Richter, lui, provoque le débat à fleur de peau.
La seconde pièce Sept secondes a pour sous-titre « (In God we trust) », c’est le nom d’un porte-avions américain. Quatre à huit comédiens sont devant des micros et relatent, comme pour une conférence de presse, comment un chasseur bombardier américain a largué par erreur un missile, il ne sait pas exactement sur quel pays ennemi. Le rythme est très rapide, tendu, on passe en permanence du cockpit de l’avion à la petite vie de famille du pilote dans sa maison américaine… Le tout comme dans une émission de propagande où tout sonne faux, sans plus de pensées, juste des slogans et où la destruction massive ne provoque plus d’émoi. Au nom de la peur et de la terreur, le monde se met à chavirer. Et nous avec.
L. Cazaux
JE SUIS FASSBINDER / SEPT SECONDES
de FALK RICHTER - Traduit de l’allemand par Anne Monfort, L’Arche, 104 pages, 13 €
Théâtre Falk richter, à vif
juillet 2016 | Le Matricule des Anges n°175
| par
Laurence Cazaux
Face à la peur qui dévore tout, le théâtre peut-il refaire débat ?
Un livre
Falk richter, à vif
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°175
, juillet 2016.