Nous sommes dans les années 1787 et suivantes, dans cette période troublée et bouillonnante où le peuple de France se prend à rêver de changements, de démocratie, d’égalité et de liberté, où le pays tout entier commence à bâtir ce qui fera de lui et pour longtemps le pays des droits de l’homme. L’Histoire, la grande, nous enseigne les dates, les hommes, les moments clés et les grands bouleversements. Une chronologie impeccable marquée par des événements dont on parle encore aujourd’hui et qui constituent à la fois notre passé et notre imaginaire communs : la prise de la Bastille, la nuit du 4 août ou la fuite du roi à Varennes.
Joël Pommerat, lui, s’est emparé du petit bout de la lorgnette. Il plonge au cœur du volcan, là où les idées prennent corps. Il nous montre au quotidien le combat de tous ceux qui ont voulu donner leur avis et prendre part au débat. Nous ne les connaissons pas, l’auteur a changé leurs noms, tous ces hommes qui se sont battus pour que l’intérêt général prime. Mais ils sont porteurs d’une utopie en marche, d’un rêve porté à bout de bras et incarné dans les États généraux, là où les élus de la noblesse, du clergé et du peuple parlent, discutent, échangent, s’affrontent et s’engueulent. Les répliques fusent, les idées les plus nobles croisent les menaces, les ragots et les commérages, mais la parole est libre. La vie s’installe partout, bourgeonne et fleurit. Au milieu de ce tumulte, le roi, Louis XVI, le seul dont le nom a été préservé, flotte et navigue, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Il voudrait faire plaisir à tout le monde, à la reine, à ses ministres mais aussi au peuple. Le bonhomme ne paraît pas antipathique, et semble vouloir bien faire. Mais il hésite, tergiverse, et pendant ce temps, la rue manifeste, s’énerve, et parfois tue et décapite. Des dépêches annoncent régulièrement des exactions. Mais tout cela, comme dans la tragédie classique se passe à l’extérieur. Dans un hors-champ qui correspond précisément à l’histoire que nous connaissons, celle que nous avons apprise à l’école. À l’intérieur, dans une assemblée de quartier, le député Possion Laville va droit au but : « Avant de se pencher sur les lois fondamentales de la France que notre Constitution va devoir établir, je propose que nous fassions un inventaire de tous les droits que tous les hommes possèdent à leur naissance. Cet inventaire pourrait être comme un préambule à notre Constitution. » Pour autant, Joël Pommerat ne s’embarrasse pas d’exactitude historique ou de reconstitution plus ou moins fidèle. Il s’agit bien d’une fiction inspirée de la Révolution française. Et une fiction joyeuse et décalée : sur le parvis de l’Hôtel de Ville, un homme au micro commente en direct l’arrivée du roi. Une femme du peuple reçue par le roi se fait prendre en photo avec lui avant de repartir. Un peu plus tard ce dernier converse au téléphone avec le pape, inquiet de la nationalisation projetée des biens de l’Église. Et la conversation se termine par un moderne « à très vite, bonne soirée, amen ».
L’auteur a travaillé à partir d’une solide documentation et des improvisations de son équipe de comédiens. Il en résulte une écriture de plateau, rapide, nerveuse, précise, principalement adressée puisque l’essentiel du texte consiste en des prises de parole, des discours, des débats. Il nous rend l’histoire familière, la retire provisoirement des mains des historiens pour la confier aux journalistes, à ceux qui commentent à chaud l’actualité et font des pronostics que l’avenir seul pourra démentir. Et nous suivons les événements au jour le jour, nous voyons les individus malmenés, changer d’avis ou au contraire défendre leurs idées. Et les femmes ne sont pas en reste ! Elles montent à la tribune et débattent, dans un anachronisme voulu et assumé puisque les premières femmes élues députées ne le seront qu’en 1945.
En ces temps actuels où il est beaucoup question de nouvelle constitution, d’épuisement du pouvoir, d’institutions dépassées, Joël Pommerat nous emmène au cœur de cette Révolution qui allait façonner et changer durablement notre façon de vivre et la hiérarchie des valeurs. Et dont les débats ressemblent si fort à ceux qui nous agitent aujourd’hui. D’ailleurs, certains discours prononcés ici ou là ne sont pas sans rappeler certaines prises de parole tout à fait contemporaines : « Et j’en profite pour demander la fin de toute complaisance à l’égard de ces hordes de nomades qui ont envahi les territoires de notre pays, de ces individus étrangers, sans domicile connu, inactifs, errants, alcoolisés la plupart du temps, irrespectueux de toutes règles et principes de la vie en société, qui, nous le savons, sont très souvent impliqués dans ces actions terroristes que nous dénonçons aujourd’hui… » profère le député Gigart à la tribune de l’Assemblée nationale. Comme si vous y étiez…
Patrick Gay-Bellile
ça ira (1) Fin de Louis
Joël Pommerat
Actes Sud-Papiers, 144 pages, 15 €
Théâtre La démocratie en live
juillet 2016 | Le Matricule des Anges n°175
| par
Patrick Gay Bellile
En direct de la Révolution française, avec Joël Pommerat, comme si vous y étiez…
Un livre
La démocratie en live
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°175
, juillet 2016.