Eric Vuillard fait sa Révolution
L’homme semble porter une sorte d’armure au-devant de lui. Ou un hologramme de lui-même derrière quoi la vie se cache, occupée à penser et écrire, loin des injonctions sociales qui la divertiraient de sa tâche. Les premières questions qu’on lui pose n’éraflent pas ce qui sépare l’écrivain de l’homme social, mais au fur et à mesure des questions, l’écrivain apparaît et avec lui la fabrique d’écriture qui jouxte le cabinet de lecture. On entre alors dans le continent intérieur, celui où vivent d’autres écrivains, qu’ils soient d’aujourd’hui ou d’un passé lointain.
Éric Vuillard, après avoir écrit notamment sur la Première Guerre mondiale, la colonisation, Buffalo Bill et son show, vous vous attaquez aujourd’hui au 14 Juillet 1789. Pourquoi ce désir d’écrire sur des événements ou des figures aussi connus ?
Au siècle dernier, la littérature et l’Histoire ont pris le parti salutaire d’abandonner la geste épique pour raconter la journée d’un employé de bureau ou la vie routinière d’un bourg médiéval. Seulement, par un mouvement bien naturel, en se penchant sur la vie ordinaire, en recherchant les causes profondes, elles ont laissé de côté les responsabilités. Et en se tournant de préférence vers des existences modestes, elles ont dédaigné les grandes dates.
Or, il me semble important, aujourd’hui, de nous ressaisir des instigateurs, de reprendre à notre compte ce que Lucien Febvre appelait « l’Histoire diplomatique », d’entrouvrir un peu le rideau derrière lequel les décisions se prennent.
Et puis, la littérature ne peut pas cantonner les gens ordinaires au récit de leur vie quotidienne. Si l’on croit que le récit de leur existence mérite d’être imprimé, si l’on pense que ces vies valent celles des grands de ce monde, alors il faut raconter leur participation aux épisodes mémorables de l’Histoire et faire de la gloire une entreprise collective.
« Nous ressaisir des instigateurs » dites-vous. Pour leur faire un procès ? Vos livres sont souvent à charge, non ?
Je vais redire les choses autrement : à raconter seulement les malheurs du peuple, à s’en tenir au récit des existences modestes, on risque d’oublier que cela est le produit d’une situation, d’un ordre des choses. Or, cet ordre n’est pas une fatalité sans visage. Il y a des intérêts derrière tout ça, une domination. Pour illustrer cela, je dirais que dans Congo, j’ai voulu que les crimes de la colonisation ne soient pas mis à la charge d’une vague conception du mal. Il est à la fois plus juste et plus difficile de rapporter les faits à leur véritable cause, qui est, en dernière instance, l’intérêt des puissants.
Mais la littérature n’est bien sûr pas sans humeur. L’écriture est une affaire de mots et de rythmes, mais aussi de tons, une disposition affective. La satire, par exemple, est une colère froide. Et la colère aussi peut être bonne conseillère !
Le choix du sujet est-il l’acte fondateur de l’écriture d’un livre pour...