Guadalupe Nettel, la clairvoyante
Ancien directeur de la Casa Refugio de Mexico, le Français Philippe Ollé-Laprune est un fin observateur de la vie mexicaine et le meilleur spécialiste de sa littérature. On lui doit notamment des livres comme le roboratif Cent ans de littérature mexicaine ou Mexique : les visiteurs du rêve tous deux aux Éditions de la Différence.
Philippe Ollé-Laprune, quelle place Guadalupe Nettel occupe-t-elle aujourd’hui dans le paysage littéraire mexicain ?
En 2016 Guadalupe Nettel est considérée comme un auteur primordial de la littérature mexicaine contemporaine. Ses livres chargés d’inquiétudes, voire cauchemardesques, ont trouvé des lecteurs dans les pays de langue espagnole, en particulier chez elle au Mexique. Elle occupe une place de choix en étant La femme écrivain de cette génération, internationale, globalisée, la première à avoir été aussi liée au monde extérieur. Sa maturité est évidente et l’obtention du prix Herralde lui a donné une reconnaissance indiscutable. Elle arrive à jouer du registre le plus intime, en particulier en usant de l’autobiographie, ce qui n’est pas du tout commun dans cet univers. Elle a le sens de la cruauté et un humour qui aide le lecteur à traverser des pages difficiles. Elle a réussi à faire accepter une littérature de femme, sans que cela soit une défense ou un argument commercial comme cela a pu être le cas avec d’autres. Il me semble que pour sa génération elle est l’équivalent de ce que furent des femmes comme Elena Garro, Rosario Castellanos ou Inés Arredondo. Elle est très respectée par ses pairs et souvent invitée à des événements littéraires, des salons du livre ou conférences. Le fait qu’elle soit aussi une intellectuelle brillante et capable de penser avec talent et connaissance l’écriture et la création aide à la faire connaître, et à ce que le public l’apprécie.
« Un goût pour l’écriture intime, une forme de désacralisation de la littérature peu courante pendant longtemps au Mexique. »
Elle se tourne beaucoup vers l’Europe et surtout vers la France. Cela fait-il d’elle un auteur à part dans une culture qui lorgne de plus en plus vers les États-Unis ?
Elle est liée à la France, à sa littérature et à sa langue. En effet la référence française est loin d’être aujourd’hui ce qu’elle était il y a encore cinquante ans mais il reste tout de même un lien assez fort, sans que l’on comprenne toujours pourquoi. Les USA ont une littérature puissante aussi et constituent un pôle qui attire. Il est vrai aussi que des systèmes de bourses, de fondations et d’universités généreuses aident à faire venir de jeunes auteurs. Il est très difficile cependant de se faire une place dans le monde littéraire nord-américain dont les maisons d’édition traduisent très peu, en particulier de l’espagnol. Il est vrai que cela a eu tendance à changer avec l’immense succès posthume de Roberto Bolaño et que bon nombre d’écrivains mexicains y vivent (Álvaro Enrigue, Carmen...