Guadalupe Nettel, la clairvoyante
On sort des livres de Guadalupe Nettel, qu’il s’agisse des très belles nouvelles de La Vie de couple des poissons rouges ou d’Après l’hiver, comme parfois on sort d’une séance de cinéma : avec le désir de maintenir vivace l’émotion qui s’est emparée de nous. Avec aussi la claire évidence d’avoir un moment vécu dans un monde qui existe bel et bien, qui est le nôtre tel qu’on ne l’avait pas vu, un monde si proche de notre quotidien qu’on se promet dès lors d’être un peu plus attentif aux détails de nos vies. La romancière excelle à faire surgir rapidement des voix qui s’incarnent dans une langue fluide et souple, et qui portent en elles une expérience aussitôt partageable. Aussitôt partagée. Comme les coutures sur des habits de très bonne facture, le travail de la langue ne se montre pas, mais vise au contraire à s’effacer pour prendre plus facilement le lecteur dans ses rets. L’écriture se met au service de ces silhouettes surgies qui du passé, qui de l’imagination, venues au-devant de la scène pour s’offrir à ceux qui les écoutent. C’est tout un art de l’attention qui se déploie alors, devant quoi on aimerait n’avoir plus qu’à se taire. La correspondance alors, même électronique, s’avère un bon moyen d’interroger en silence un auteur qui, ces jours-là, quittait Paris pour Amsterdam et Amsterdam pour Mexico. Puisqu’il était de toute façon vain de vouloir la suivre…
Guadalupe Nettel, comment est né le projet de Après l’hiver, votre nouveau roman ?
La préhistoire du roman, son moteur initial c’est la vengeance. J’avais rencontré un homme très intelligent et séducteur, mais aussi très macho et très misogyne. J’ai voulu le dénoncer en le faisant parler à la première personne. Je me suis servi des lettres que nous avons échangées à l’époque, ainsi que des souvenirs de nos conversations. Mais ce fut uniquement le début. Au fur et à mesure que le roman avançait, le personnage est devenu plus complexe. D’autres modèles et d’autres discours sont venus s’ajouter. Par exemple, les aphorismes de Schopenhauer à propos des femmes et de l’amour que je trouve hilarants tellement ils sont passionnels et d’une misogynie qui, au XXIe siècle, semble un peu naïve. Quant à Cecilia, la jeune femme mexicaine, elle est apparue après, lorsque j’ai pu regarder avec un peu de distance mon expérience en tant qu’étudiante à Paris. C’est un roman que j’ai écrit très lentement. J’aime à dire qu’il a cuit à petit feu. J’ai commencé à prendre des notes en 1999, date à laquelle je suis arrivée en France pour faire des études, et ai mis le point final en juillet 2014. Cela m’a donné le temps de beaucoup réfléchir à mes personnages. Leur vision du monde évolue au cours du roman tout comme la mienne a évolué pendant ces années, grâce aux expériences que j’ai vécues pendant le processus d’écriture.
Le roman est constitué de chapitres qui ont plus ou moins la taille de nouvelles (cuentos), genre dans lequel vous excellez. Ce découpage vous...