Tous les ans, le narrateur quitte Montréal pour venir passer les fêtes de Hanouka à Tel-Aviv, dans l’appartement de sa mère, Paula, décédée à l’âge de 50 ans d’un cancer foudroyant. Il rend ainsi hommage à cette femme solitaire, « clandestine de sa propre vie », qui l’a conçu avec un inconnu et qui, toute sa vie, a toujours refusé de lui parler de son passé, de ses parents et de son enfance. En ce mois de décembre, cependant, tout va lui être révélé par un courrier notarial venu d’Allemagne. Sa grand-mère, Vera Kaplan, s’est suicidée quelques mois auparavant et laisse en héritage à sa fille qu’elle croit encore en vie un appartement à Berlin, de l’argent et un journal. En lisant ce dernier, le narrateur apprend qu’en 1946 Vera a été condamnée à dix ans de prison et que sa fille lui a été retirée. Son crime ? Avoir été une chasseuse de juifs dans les derniers mois de la guerre. Bien entendu, cette amoureuse de la vie n’a jamais été une sadique. Si elle en est arrivée à dénoncer ses amis, c’est parce que la Gestapo lui a proposé un marché impossible : se mettre à son service ou être envoyée à Auschwitz avec ses parents. Et c’est là que le piège se referme sur le lecteur. Malgré le recul historique, il nous est impossible de condamner cette femme qui tour à tour nous dégoûte lorsqu’elle tente de se justifier en rejetant la responsabilité de ses actes sur son peuple (« Ce furent eux, les véritables complices, ce furent eux qui par leur passivité criminelle collaborèrent avec leurs assassins. Pas moi. »), nous scandalise lorsqu’elle piège froidement ceux qui furent ses amis, mais nous émeut tout autant lorsqu’elle se débat avec sa conscience et lorsqu’elle après la guerre, après sa condamnation, elle tente de se reconstruire. Après une période d’errance et de débauche, elle tentera de se réapproprier son identité juive en apprenant l’hébreu et en devenant traductrice : « ces mots me parlaient comme une mère aimante converse avec ses enfants pour leur montrer le chemin à suivre, ils me rassuraient, ils me protégeaient, ils veillaient sur moi, ils m’attendrissaient tout autant qu’ils me fortifiaient. Je les traduisais dans la langue de ceux qui avaient voulu la réduire au silence. »
Laurent Sagalovitsh trace un beau portrait de femme, celui d’une femme touchante, humaine, sans doute trop, que les circonstances ont conduit à commettre des actes monstrueux. Les monstres ont parfois une âme.
Éric Bonnargent
Vera Kaplan, de Laurent Sagalovitsch
Buchet Chastel, 152 pages, 13 €
Domaine français Le choix de Vera
novembre 2016 | Le Matricule des Anges n°178
| par
Eric Bonnargent
En s’inspirant de la vie de Stella Goldschlag, une juive au service de la Gestapo, Laurent Sagalovitsch nous offre un roman pudique et touchant.
Un livre
Le choix de Vera
Par
Eric Bonnargent
Le Matricule des Anges n°178
, novembre 2016.