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Domaine français Rêver de bernadette

juillet 2017 | Le Matricule des Anges n°185 | par Thierry Guichard

En ressuscitant la figure de Bernadette Soubirous, Marie Cosnay peint un tableau diablement impressionniste où la phrase coule comme rivière.

Très vite on ne sait plus si on est dans la prose ou dans le poème. Dans le sommeil ou dans ce qui n’est pas déjà l’éveil et où s’attachent encore à la conscience des bribes de rêves. Celle qui parle est dans une forêt, tombe par une faille dans une grotte où s’agitent des bêtes, un chasseur qui tend tout à la fois une lance et son sexe vers l’animal qu’il va tuer. Celle qui parle voit bouger les bêtes sur les parois de la grotte et elle est aussi allongée sur le lit de l’infirmerie du collège, nous sommes aujourd’hui et nous sommes en 1974, la religieuse qui s’occupe d’elle lui donne à lire la biographie de Bernadette Soubirous. C’est un chien dans un fourré qui l’a conduite là, dans la grotte, mais le chien était en fait une biche, il y a ainsi des chemins qui jouxtent les biches et des chemins moins dangereux. On ne sait souvent pas où l’on est quand on lit un livre de Marie Cosnay. La prose est si poreuse qu’on croirait un poème. Ou bien, ici un tableau, tant les images et les couleurs font dans le texte des échos : « La campagne est déchirée en deux, horizontalement. Les sommets des arbres, châtaigniers aux grappes pendantes, lourdes, pins et chênes-lièges, la lumière rase les cimes, en haut c’est ce rouge. » Et plus loin : « De la bouche sombre de la grotte sortait quelque chose de blanc. Un rosier sauvage, les fleurs d’après les roses, l’entrelacs des branchettes qui montent – un chant qu’on pousse, dans les taillis, à la lisière entre ciel rouge et cime des arbres. »
Est-ce encore une histoire que l’on lit, ou seulement l’empreinte qu’elle a laissée dans l’expérience que ce fut de la lire ?
On saisit que ce texte est venu pendant l’écriture d’un roman d’espionnage, qu’il est des textes qu’on essaie d’écrire et d’autres qui s’écrivent en nous. Alors oui, il y est question de Bernadette Soubirous, de la famine des années 1856, 1857 et 1858, de son père accusé de vol et dont « l’état de sa misère, explique le procureur, fait penser qu’il peut être coupable. » Il est question de cette enfant qui ramassait branches mortes et os avec ses sœurs et qui vit la lumière blanche dans la bouche noire de la grotte. Qui ne voulut d’abord en parler. Être Cassandre n’est pas chose facile quand on est pauvre, qu’on vit toute une famille dans une même pièce avec le père en prison. Et qui dut pourtant dire ce qu’elle avait vu et amener avec elle les incrédules, qui parce qu’incrédules, ne verront rien eux, mais finiront par la croire. On s’attache un peu aux éléments biographiques qui parlent de Bernadette et qui sont dans le texte comme des planches emportées par le flot de la rêverie et à quoi on peut se retenir un temps pour rester à la surface de la narration. Mais le tableau continue à se déployer avec ses échos, biches, chien, rivière et arbres sous le ciel rouge et maintenant des ventres de femmes et maintenant des morts qu’on peut voir. Et ce meunier de 104 ans qui observe la jeune fille nue dans le cours de la rivière et dont il ne sait si elle est femme ou sirène. À l’infirmerie l’enfant Marie a lu aussi un livre sur Ulysse et aujourd’hui l’écrivain Cosnay traduit du latin Les Métamorphoses d’Ovide (à paraître en octobre 2017 chez l’Ogre). Voilà, Aquerò porte peut-être, comme le ventre d’une femme enceinte, ces textes lus, ces textes dont l’empreinte est si forte qu’elle habille les rêves qui collent encore à la conscience quand celle-ci se réveille.
Et peut-être alors y a-t-il du Bernadette Soubirous dans cette manière que la romancière a de nous montrer ce qu’on ne peut pas voir, dans cette façon d’être à ce point ouverte à ce qui vient à elle : le ciel rouge, une fille nue et toujours les morts qui ne disparaissent jamais.

T. G.

Aquerò, de Marie Cosnay
Éditions de l’Ogre, 113 pages, 17

Rêver de bernadette Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°185 , juillet 2017.
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