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Histoire littéraire En bois brut

juillet 2017 | Le Matricule des Anges n°185 | par Éric Dussert

Libertaire à tendance touche-à-tout, Maurice Frot est passé du contreplaqué au Printemps de Bourges sans barguigner.

Maurice Frot avait quelques points communs avec Jean-Louis Brau, l’auteur en 1972 du Singe appliqué (Le Dilettante, 2012) dont nous parlions ici il y a un lustre. Même moustache gauloise, même goût pour le mouvement, même appétit de vivre, même tendance naturelle à la rébellion. Ils sont quasi conscrits d’ailleurs, le premier étant né le 11 avril 1928 à Decazeville en Aveyron, l’autre deux ans plus tard. Le hasard veut qu’ils aient partagé une autre expérience, celle de la guerre d’Indochine qu’ils ont souhaité faire l’un et l’autre, et pour laquelle ils se sont engagés. Délaissant une scolarité qui l’a mené de pensionnat en pensionnat, Frot alors âgé de 17 ans devance l’appel et participe au titre de parachutiste à une expérience qui le marque durablement. Il avait déjà pris des risques en rejoignant la résistance contre l’occupant nazi… Rendu à la vie civile en 1950, Maurice Frot n’en profite pas pour se couler dans la norme. Il enchaîne les métiers : pêcheur d’Islande, dit-on, vendeur de contreplaqué au salaire confortable, régisseur, organisateur de spectacles, il rencontre Léo Ferré en 1956 et son existence prend un goût différent. D’abord son penchant pour l’écriture est encouragé par le chanteur anarchiste, ensuite il entreprend d’imprimer pour lui des livres qu’il illustre. En 1968, l’entente étant particulièrement bonne entre les deux hommes, il devient son secrétaire. Trois ans plus tôt, Maurice Frot avait publié son premier livre, Le Roi des rats (Gallimard, 1965) où il revenait sur son expérience indochinoise. Avec une langue aussi brutale qu’intense, il racontait ce qu’était le quotidien d’un rescapé de la guerre dans ces colonies de jungle et de violence. Son mentor Ferré signait la magnifique préface du volume que l’on voudrait citer une extenso. Il y écrivait ceci : « Frot a une poche spéciale pour ses souvenirs, il les fait remonter et les remange : c’est un ruminant. » Avec le même ressort mémoriel, deux livres suivront : Nibergue (Gallimard, 1969) qui obtient le prix du Roman populiste en 1970, puis Le Tombeau des jaloux (Fil d’Ariane, 2000).
Nibergue, c’est nibe, que dalle, rien, nada, niente, nitchevo. C’est la poursuite des aventures de Maillard, le héros du Roi des rats qui a quitté les horreurs de la guerre pour rencontrer celles de la vie. Dans le trentième numéro du Magazine littéraire de juillet 1969 – Mao en couverture –, le critique Frantz-André Burguet le déclare : « Cette fois encore, il empoigne à bras-le-corps la masse grouillante qui respire, qui boit, qui mange, qui évacue, qui croit aimer. Cette langue parlée qui lui est propre, ce flot puissant, qui fit évoquer Céline (…) charrie la fureur, l’indignation, le mépris, fait tournoyer des images fulgurantes, englouties puis reprises, nous laisse essoufflés devant tant de richesses. »
Incapable de supporter plus qu’il n’en faut le commerce du contreplaqué, Frot s’est donc confronté à la vie d’artiste et entreprend d’organiser des galas pour Politique Hebdo, le PUS ou Amnesty international. Il collabore même à Libération, travaille pour le théâtre (Le Vide-ordures, de Pierre-Jean Oswald, avec Paul Castanier en 1975 par exemple) et participe en 1977 à la création en compagnie de ce dernier et de Daniel Colling du Printemps de Bourges qu’il codirige jusqu’en 2003.
Issu d’un milieu populaire rural – son père est maréchal-ferrant – il atteint en côtoyant Léo Ferré et en devenant son régisseur et secrétaire un statut de libertaire conséquent : à ses côtés, il participe aux activités du groupe Louise Michel animé par Maurice Joyeux – dont il préface d’ailleurs en 1971 la Mutinerie à Montluc –, collabore à La Rue avant de se brouiller comme quelques autres, deux ans plus tard, avec Léo Ferré. Pendant toutes ses années, il publie encore Le Dernier Mandrin (Grasset, 1977) où il prête sa plume aux souvenirs de Jean-Baptiste Buisson, grand truand frère d’Émile Buisson, « ennemi public n°1 » qui fut raccourci dans la cour de la prison de la Santé le 28 février 1956. Une belle occasion de plaider contre la peine de mort. Et de récidiver en consacrant à l’anarchiste cambrioleur modèle d’Arsène Lupin Marius Jacob un spectacle musical à Bourges en 1978 (Les Travailleurs de la nuit). Si l’on peut ajouter un volume de souvenirs sur sa relation avec Léo Ferré (Je n’suis pas Léo Ferré, Fil d’Ariane, 2001), il est à peu près assuré que ce sont ses deux premiers volumes d’une intensité remarquable, et remarquée, qu’il convient de ne pas laisser s’empoussiérer.
« Retrouver ma chambre ? Qui s’fout de qui ?… Les rues elles traînaient plus trop, se vidangeaient peu à peu, à mesure que crevaient les illuminations. Les derniers hoquets c’était la porte d’un bistrot qui crachait un à un ses pépins gorgés du pernod de la compagnie. Et puis venait la vraie nuit, elle allait bien t’arranger ça, et le silence, et le sommeil. Et le ciel par-dessus, inaccessible, comme les hommes…  » Maurice Frot est mort le 6 septembre 2004 à Brunoy, dans l’Essonne. Jean-Louis Brau était décédé depuis 1985.

Éric Dussert

En bois brut Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°185 , juillet 2017.
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