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Égarés, oubliés La lyre du souffrant

septembre 2017 | Le Matricule des Anges n°186 | par Éric Dussert

Mis au ban parce que physiquement diminué, Mario Scalesi est sans doute le plus grand poète français oublié.

La figure du poète-misère n’étonne plus guère, même si son orbe attire encore les âmes meubles. Pourtant le modèle a été multiple, varié, sans cesse réinventé par des êtres toujours plus maladroits, toujours plus malchanceux, toujours plus obstinés dans leur débine. Ici Léon Deubel, là André de Richaud, ils sont aussi nombreux que les emmerdements, moins que les inspecteurs des contributions directes. Et puis il y a les poètes maudits dont la figure imprécise tente de rassembler ceux qui sombrent dans la folie, sont assassinés, se suicident, proies de démons personnels ou de passions ravageuses. Ils sont légion. Dans sa fameuse anthologie de 1977, Pierre Seghers y faisait coudoyer Artaud et Crisinel, Duprey et Frédérique, Armand Robin, Voronca et Salabreuil, et il ignorait encore Christian Bachelin ou Jean Sénac. Il aurait pu intégrer Mario Scalesi. À lui seul, ce dernier est le poète-malheur.
Mario Scalesi, c’est la conjonction d’une misère morale et de la pauvreté à laquelle s’est associée la malchance. Ses Poèmes d’un maudit, posthumes naturellement, racontent l’âpreté d’un destin que relatera Philippe Soupault en 1959 dans son émission radiophonique Poètes oubliés, amis inconnus. Il bénéficiait du support d’une édition des Belles-Lettres de 1923 reprise et illustrée en 1930 par les lettrés des éditions de La Kahena à Tunis où Mario Scalesi était né le 6 février 1892 dans le quartier de Bab Souika. Très tôt, les dieux lui avaient confié « la lyre des souffrants » qu’il abandonna le 13 mars 1922 à Palerme, au terme d’une existence de souffrances physiques et de douleurs morales, avant d’être jeté à la fosse commune.
Une chute dans les escaliers glissants du fondouk familial, bien pauvre logis, lui vaut cette existence tragique. « Je sens fuir mes pensers malades / Vers l’escalier où je suis mort. » À l’âge de 5 ans, la colonne vertébrale rompue, son sort est scellé. Le reste de sa vie va être celle d’un bossu sujet aux méningites, atteint de plus par la tuberculose, rejeté par ses coreligionnaires à l’école, existant mal dans une famille nombreuse où même la mère, balayeuse d’origine maltaise, est amère au point de n’avoir plus d’affection pour son sixième enfant… « Ton cœur s’est-il usé, ma mère ?  » Le père, immigrant sicilien perclus, est employé à la Compagnie des Tramways. Les « Tunisois d’il y a quelques années ont connu ce vieux cassé qui faisait l’aiguille au croisement des lignes devant l’hôtel de la Dépêche Tunisienne » mentionne le préfacier des Poèmes d’un maudit, Joachim Duret. Le fils reproche aux parents leur résignation et leur faiblesse. Mais que faire lorsque le sort s’acharne ? La jeune sœur de Mario meurt lorsqu’il est enfant et le voilà « sultan du sérail des mortes  ». Puis le père meurt à son tour. Mario doit vendre des journaux pour permettre au reste de la famille de survivre.
En 1915, le patron de la Société des Écrivains d’Afrique, Arthur Pellegrin (1891-1956), voit un jeune garçon bancroche entrer dans son bureau pour y déposer quelques papiers et se retirer aussitôt. Impressionné par la qualité des poèmes qu’il y découvre, Pellegrin confie à Mario la critique littéraire du Soleil qu’il signe Claude Chardon ou Rocca Staiti, avant d’obtenir une place à La Tunisie illustrée. Mario Scalesi n’en reste pas moins isolé à cause de son allure cassée. Négligé par sa famille, houspillé par ses pairs, il reste tourné vers la poésie, son recours et son carburant. « Muse, je veux que tu célèbres / Ce vieil et banal escalier / Qui, m’ayant brisé les vertèbres, / Me force à ne point l’oublier. » Enfant d’une triple culture, écrivant en italien et en français, il produit des poèmes magnifiques qui pourraient sans déchoir paraître enfin, réunis, dans une belle édition. Ce sont de déchirantes élégies de Tunis qui tressent un contrepoint à celles que Rilke créait un peu plus tôt sur des rives pas si lointaines, à Duino.
« Ce livre, insoucieux de gloire, / N’est pas né d’un jeu cérébral. / Il n’a rien de la Muse Noire, / De l’Abîme ou des Fleurs du Mal. // S’il contient des vers funèbres, // Ces vers sont le cri révolté d’une existence de ténèbres / Et non d’un spleen prémédité. (…) Dans l’abandon, dans la famine, Honni comme un pestiféré, / J’ai fleuri ma vie en ruine / D’un idéal désespéré  ».
Le jeune homme au visage magnifique est tordu comme un cèpe, le mal le ronge, la misère le taraude et les hommes l’ont mis au ban tandis que les femmes l’humilient. Il enrage. « Tandis que de nouveau râlent mes indigences, / Les lustres de cristal pleins d’or et de gaîté / Éclairent sous mes yeux des festins et des danses : / La haine redevient ma seule volupté. » Rejeté, il réclame justice. « Laissant mes rimes et mes contes / À mi-chemin, / Me voici clôturant les comptes / Du genre humain. » La démence l’emporte. Après avoir été interné à l’hôpital Garibaldi de Tunis, il est rapatrié en Sicile sur la foi de son passeport italien et meurt à Palerme dans un asile d’aliénés. « Je totalise l’Inventaire. / Quelle stupeur ! / Toujours le compte “Cimetière” est créditeur. » Celui de Mario Scalesi porte l’adresse du cimetière de Santa Maria dei Rotoli, au bord de la mer.
Éric Dussert

La lyre du souffrant Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°186 , septembre 2017.
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