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En grande surface Des cheveux dans la soupe

septembre 2017 | Le Matricule des Anges n°186 | par Pierre Mondot

Le magazine Lire publie le palmarès des meilleures ventes de l’été. Derrière Vargas et son araignée, Wohlleben et ses arbres, figure le premier roman de Laetitia Colombani : La Tresse. Une notule précise que le livre, paru en mai, a connu avant même sa sortie française « un emballement phénoménal à l’étranger ». Déjà « vendu à 200 000 exemplaires », il est « en cours de traduction dans 28 langues ».
L’incipit, à la manière d’un sommaire, semble résumer les motifs de ce consensus international : « Smita s’éveille avec un sentiment étrange, une urgence douce, un papillon inédit dans le ventre. (…) Smita est une Dalit. Intouchable. De ceux que Gandhi appelait les enfants de Dieu. Hors caste, hors système, hors tout ».
On se montrera d’abord sensible à la cadence ternaire dont l’auteure maintient le bourdonnement jusqu’à la fin de l’ouvrage avec une discipline toute militaire. On notera également un penchant pour la rupture syntaxique, et ce que les linguistes nomment l’épiphrase (ou hyperbate), figure fondamentale de la rhétorique du trémolo, et tic durassien notoire. Dans le même ordre d’idée, on soulignera le recours systématique au présent de narration, lequel, selon les grammaires de collège, s’utilise afin « de rendre une scène plus vivante » (Belin, 3e), mais dont l’abus, en privant le récit d’arrière-plan, provoque une oppressante myopie. Le lecteur, la tête dans le guidon et un canon sur la tempe, se trouve sommé de s’émouvoir.
On épinglera enfin ce papillon égaré dans les entrailles de l’héroïne. La métaphore paraît combler l’auteure : le lépidoptère revient à cinq reprises dans le texte (sur deux cents pages, on peut parler de nuée). L’image provient d’une expression anglo-saxonne : To have butterflies in one’s bully. Elle s’utilise pour signifier un mélange de trac et d’excitation. On devine ici un atout supplémentaire du livre aux yeux des décideurs de l’édition : la possibilité de rogner sur les frais de traduction. Ainsi, pour convertir en finnois ou en peul les tourments du personnage colombanien – lorsque « la vérité le frappe comme une gifle », que la tristesse l’enveloppe « comme un manteau » et qu’il s’immobilise « comme une pierre » – un logiciel suffira. La prose de Laetitia Colombani, d’une admirable ergonomie, présente les prémices d’une écriture mondialisée. L’avant-goût d’un (des) espéranto littéraire.
Sinon, le récit entrelace les destins de trois personnages féminins.
La première vit en Inde et « ramasse la merde à mains nues ». Son illettrisme ne l’empêche pas de proférer sur son pays des jugements dignes d’un conférencier de Connaissance du monde  : « un chaos sans nom où se mêlent l’ancien et le moderne, le pur et l’impur, le profane et le sacré. » Comme elle, les déshérités qu’elle côtoie wiki-pensent, ou wiki-causent (« Lackshmama évoque avec effroi la cruelle tradition du Sati… ») tandis que la narratrice compile les petits exposés : « Un enfant s’avance et leur tend des laddus, ces pâtisseries rondes (…) cuisinées par les achakas, ces prêtres de père en fils… »
La deuxième réside à Palerme. Travaille dans la fabrique de perruques paternelle. La Sicile, pourtant si sale, s’y trouve débarrassée de ses monceaux d’immondices pour déployer le décor radieux d’une réclame Barilla, avec aux abords du marché, des « odeurs d’olives et d’agrumes ». On y roule en Vespa, on boit de la grappa et on consomme des pasta préparées par la Mamma. Semblable aux fabricants de yaourt qui parsèment leur laitage de petits morceaux de fruits pour attester du naturel d’un arôme, la romancière émaille son texte d’expressions italiennes afin d’en garantir la couleur locale.
La troisième est canadienne, mais la nationalité n’a plus d’importance, puisqu’on n’y croise cette fois ni caribou ni sirop d’érable. Il s’agit d’une « executive woman » atteinte d’un cancer, telle qu’on pourrait la trouver modelée dans une boîte Playmobil (elle possède en commun avec les figurines une nature ectoplasmique et un scalp fragile).
Le tout est le récit d’une touffe. Les mèches sacrifiées à Vishnou transitent en Sicile le temps de leur transformation en postiche avant de traverser l’océan pour se poser sur le crâne canadien.
Pour prévenir tout risque d’obscurité, le roman s’ouvre sur la définition du mot « Tresse ». L’auteure aurait pu s’appuyer sur l’article du Littré : « Vu le sens étymologique de tricher qui est tirer et le sens propre du bas-latin tricare qui est embrasser, il est très probable que tresse et tricher ont même origine ».

Des cheveux dans la soupe Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°186 , septembre 2017.
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