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Domaine étranger Joseph Mitchell, des vies discrètes

octobre 2017 | Le Matricule des Anges n°187 | par Blandine Rinkel

Le fondateur du Nouveau journalisme jouit d’un retour en grâce. Une biographie, L’Homme aux portraits, lui rend hommage.

L' Homme aux portraits : une vie de Joseph Mitchell

Il y a un vertige à regarder celui qui vous regarde, à retourner la caméra, la fixer sur ceux qui fixaient et renverser les règles du jeu ; il y a un trouble à dresser le portrait d’un portraitiste, à s’immiscer dans une vie elle-même constituée d’immersions diverses – dans des vies de marginaux, de clochards célestes, de rois des gitans, de tenancière de cinéma, de dockers, de piliers et de patrons de bars, des existences grouillantes dans le New York du début du XXe siècle. Il y a un trouble, et il y a une mélancolie. Car comment ne pas s’attacher à Joseph Mitchell (1908-1996), reporter au New Yorker dans les années 1950 qui s’est lui-même attaché à tant de visages ? Comment ne pas se projeter dans cet homme-foule qui, à sa façon, l’incarne ? Et s’y projetant, comment échapper à l’amertume qui point en tournant la dernière page du livre, une tristesse inutile et persistante à se dire que Joseph a disparu, comme les enseignes qu’il aura visitées – du McSorley’s au Hartford’s Hotel –, et comme les vivants qu’il aura croqués – de Kate Smith à Joe Gould en passant par M. Flood ou M. Hunter –, que tout son univers a aujourd’hui disparu et à l’époque déjà disparaissait, puisque ce monde se savait et se voulait vulnérable, ordinaire et miraculeux, puisque tout ce que Joseph Mitchell aimait à regarder était fragile  ?
Il pratiquait le journalisme narratif ou bien la littérature du réel, mais ne se méfiait de rien tant que des étiquettes. S’il avait élu la non-fiction, c’est moins par boulimie des faits que par un amour du réel, qu’il aimait à célébrer. Et si, comme sa biographie nous l’apprend, il lui arrivait de s’adonner à des « portraits composites » que les fact-checkeurs auraient invalidés, ceux-là ne visaient pas à dramatiser le quotidien à coups de twists et de cliffhangers, mais bien plutôt à donner un sens plein à ce qui ne se dévoile que par bribes et à révéler ainsi le potentiel à la fois microscopique et cosmique du quotidien. Joseph Mitchell pratiquait la non-fiction par amour du microcosmique, des énigmes banales et pourtant non-résolues de nos vies. Pourquoi, certains jours de pluie, les journaux sentent le poisson ? Sur quel malentendu surnomme-t-on cet homme dépressif « M. Happy » ? Et qui, de l’homme ou du rat, craint le plus son voisin ?
« Je sais bien que c’est un peu enfantin mais parfois, appuyé contre le comptoir étincelant de propreté (d’une nouvelle enseigne), je suis envahi par la nostalgie de la boue », écrivait Mitchell dans son journal ; la nostalgie de la boue, donc, la nostalgie d’un sol naturellement trouble, des visages ordinaires et bigarrés, des trajectoires fascinantes et évanescentes à la fois, qu’il rencontrait dans les rues, les bars, ou sur les bateaux. Car toute sa vie, c’est sur les trajectoires des «  révoltés, des opprimés et des plus faibles  » qu’enquêtera ce journaliste au chapeau, révéré par Martin Amis, Salman Rushdie ou Paul Auster, sur ce qu’il appelait le « Beau Monde de la canaille » (mais refusait de nommer « des petites vies »). C’est aussi sur les rats, les poissons, les fleurs sauvages et le terreau des cimetières, les trottoirs et les bus, bien sûr, ces endroits idéaux pour observer « la ville normale, ordinaire – pas la ville noble hautaine et verticale aux reflets d’argent, mais la ville horizontale immense, qui s’étale, que la suie et les fumées ont colorée de gris, de brun, de rouge et de rose, la vieille ville polluée, trahie, qui se sait vouée à disparaître à tout moment ».
À lire sa biographie comme à parcourir ses récits, une évidence : la disparition hante Joseph Mitchell avec l’autorité d’une idée fixe. Et non seulement la disparition des vivants et des paysages qu’il côtoie – celle de sa si solaire épouse, la photographe Thérèse, est bouleversante – mais aussi sa propre évanescence, celle d’un Bartleby du journalisme au regard « intensément absent » et qui, pendant trente-deux ans, soit de 1964 à sa mort en 1996, se sera enfermé dans son bureau de 9 h à 18 h sans que, au grand étonnement de ses collègues, amis et lecteurs, plus aucun texte, plus aucun livre, plus rien n’en sorte. Plus rien ou presque, car on n’échappe jamais tout à fait aux regards et, n’écrivant plus, Joseph Mitchell se change de manière posthume en parfait sujet d’écriture pour Thomas Kunkel, son méticuleux biographe. Un sujet kaléidoscopique et touchant dont l’énigme, comme souvent, est à la mesure de sa discrétion.

Blandine Rinkel

L’Homme aux portraits : Une vie
de Joseph Mitchell,
de Thomas Kunkel,
traduit de l’américain par Michel Cordillot, Éditions du sous-sol, 446 pages, 26
Paraît aussi de Joseph Mitchell, Le Fond du port, récits sur le monde maritime de New York, chez le même éditeur.

Joseph Mitchell, des vies discrètes Par Blandine Rinkel
Le Matricule des Anges n°187 , octobre 2017.
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