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Essais L’ultime aventure

novembre 2017 | Le Matricule des Anges n°188 | par Richard Blin

Avec son Essai sur le fou de champignons, c’est le miracle de s’étonner et l’art de s’émerveiller que célèbre Peter Handke.

Essai sur le fou de champignons

Il écrit comme on se met en chemin, Peter Handke, comme on part pour une marche sans but. Plus qu’une espèce de méthode, c’est pour lui une manière d’être, une façon d’aller sans savoir qui relève d’une science subtile de l’égarement. Un art de se perdre qui donne aux plus humbles choses un éclat parfaitement nouveau, une puissance, un rayonnement autre. Cette démarche livrant l’écriture à la règle de sa propre errance, débouche parfois sur ce qu’il appelle un « essai ». Aux quatre qu’il a déjà écrits – Essai sur la fatigue ; sur le juke-box ; sur la journée réussie ; sur le lieu tranquille – succède donc cet Essai sur le fou de champignons, qui est l’histoire d’un ami disparu, « telle qu’elle est arrivée et telle qu’il m’est parfois arrivé de la voir ».
L’histoire d’un enfant amoureux des lisières, d’un « chercheur de trésors » qui, enfant, aimait traverser champs et vergers pour monter jusqu’à l’orée de la forêt et « se mettre au diapason » en écoutant le mouvement des frondaisons dans le vent, « le ruissellement des bouleaux, le bruissement des hêtres, la rumeur des frênes, le tumulte des chênes ». À ce trésor qui devenait voix, à cet appel à aller dans les forêts, il ajouta bientôt celui de ses récoltes de champignons, ceux justement qui poussent dans les forêts, où il faut aller les dénicher, un plaisir qui a « la saveur de quelque chose de rare, de délicieux ». Des champignons qu’il vendait pour s’acheter les livres capables d’assouvir sa soif effrénée de savoirs.
Cette première époque de folie de champignons fut suivie d’une longue période où le monde des champignons eut moins d’importance pour lui, même s’il continuait « d’aller dans les forêts ». C’est que celui qui n’avait jamais imaginé devenir quelqu’un était pourtant devenu un avocat « habitué des tribunaux internationaux ». Mais ce n’était qu’une façade pour le monde extérieur. « À l’intérieur de moi, je ne suis jamais allé plus loin que les lisières des forêts où je filais, quand j’avais sept ans, pour entendre le vent dans les branches. »
Une vie dominée donc par un rythme d’absence et de présence mais qu’il voulait normale, au point de se mettre en ménage avec une femme d’un village voisin. Jusqu’au jour où, lors d’une promenade, notre amoureux des bois tomba nez à nez avec un magnifique cèpe, « comme surgi du monde des fables. Celui-ci existait donc, il était une part ou une composante de la réalité ; il se révélait dans cette créature fabuleuse aussi vraie que n’importe quoi d’autre ». Dès lors, le monde des champignons devint un objet d’enchantement, une réalité l’assurant d’un ailleurs bien présent au sein de ce monde-ci. À travers la quête du champignon, sa découverte ou son apparition, c’est la « consistance du maintenant » qu’il éprouve souverainement. Ils sont, ces champignons, l’instance qui surprend, transporte tout en distillant un savoir qui donnera naissance à un projet de livre, qui avortera. Mais notre « fou de champignons » a raconté à l’auteur « certaines choses qui devaient y figurer ». Comme la façon de se déplacer – « le pas de recherche » – ou des « trucs » pour mieux voir ce qui se trouve à nos pieds.
Ce livre, qui devait surtout être un plaidoyer en faveur d’une certaine façon « d’être en chemin », une ode aux chercheurs de champignons comme «  derniers aventuriers de l’humanité », Peter Handke nous en offre le reflet en évoquant la conception aventureuse de la vie qui fut celle de son ami pour qui le champignon devint l’objet d’une forme dévoyée de mysticisme. D’où la part de conte que contient cette histoire, le conte avec son imagerie et sa capacité à véhiculer des émotions primitives, de l’enchantement, de l’émerveillement. « L’air, l’eau, la terre, le feu, les quatre éléments, et le moment du conte comme cinquième élément », commente Peter Handke. Ce qui nous renvoie à la spécificité de son écriture, à sa façon de s’en tenir à l’élémentaire, aux données sensibles, à la chose qui fait irruption dans le champ de la perception, et qu’il sait rendre nette et consistante. Une écriture qui rend l’effet du mouvant et du vivant, qui, avec presque rien, déploie un monde à traverser et à éprouver, ici et maintenant. Des impressions, des sensations, des digressions, des réflexions qu’il agence rythmiquement, en séquences narratives, en tressages d’épisodes. Une pratique de l’intervalle, un jeu entre les moments et les espaces, qui ont le pouvoir de mettre à nu la présence et les effets sur le corps de cette « force du dehors » quand elle nous pousse à participer pleinement au « maintenant », qui donne sens et réalité à l’Ouvert.

Richard Blin

Essai sur le fou de champignons, de Peter Handke, traduit de l’allemand (Autriche) par Pierre Deshusses, Arcades/Gallimard, 154 pages, 14

L’ultime aventure Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°188 , novembre 2017.
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