Études d’argot
Editions Lérot
Rares sont les argus qui sont parvenus à s’infiltrer parmi la gent littéraire. Quoique percluse de défauts divers et affligée de moralités parfois discutables, la confrérie des hommes et femmes de lettres tient par-dessus tout à son allure olympienne, libre et à son allure « rebelle » (sur le modèle américain). Des rapports avec la police ? Le moins possible ! On a bien connu des balances dans la profession, Defoe, Rétif peut-être aussi et quelques lascars pendant la dernière guerre, mais les poulagas ne sont pas aussi appréciés que ça. Tout juste leur accorde-t-on de briller dans le souvenir professionnel (anecdotes de braquages et de bavures variées) comme Ernest Raynaud, voire dans le polar (puisqu’ils savent mieux qu’un tire-à-la-ligne comment se comportent Lefaucheux, Mauser Zig Zag ou Walther PPK). C’est d’ailleurs pour cette connaissance technique du métier qu’Oscar Méténier était entré dans la carrière littéraire. Il connaissait du reste moins les armes que les âmes de ces messieurs-dames de la pègre et de la galanterie. Les munitions de ce joli monde tenaient plus de l’appât et du surin que du piège à feu qui reste un moyen très bruyant de faire silence. Mais le silence… Oscar Méténier n’y tenait pas plus que ça. Secrétaire du commissariat de police du quartier de La Chapelle à Paris le jour, ce que l’on nomme en argot un « chien de commissaire », il se transformait en joueur et en bambocheur toutes les nuits. Quand il ne guinchait pas avec sa copine Rachilde, la future Madame Mercure de France d’Alfred Vallette, il arrondissait les affaires des copains – Jean Lorrain en particulier qui se retrouvait de temps à autre dépouillé par un amant voyou – et faisait visiter le commissariat à ses connaissances mondaines. Un vrai zoo, il faut dire. Et odorant avec ça…
Adepte de la vie épicée, Oscar Méténier aura engrangé des scènes inouïes et une connaissance de l’argot des apaches qu’aucun écrivain naturaliste ne pouvait concevoir. Après Eugène-François Vidocq, qui fit lui aussi œuvre littéraire, Méténier apporta une incontestable preuve que la police était toujours aussi calée en argot, même si celui-ci s’ingéniait à évoluer. Gros succès pour sa comédie en un acte, En famille (Flammarion, 1887) qui le pose en auteur dramatique de premier plan. Il y mettait avec beaucoup d’accent des personnages appliquant une morale familiale singulière : les gars sont voleurs, les filles péripates. Son roman La Chair (1885) avait lui aussi été remarqué parce qu’il s’inscrivait dans la lignée des œuvres de Zola et savait trousser un personnage.
Méténier était bien introduit chez les gens qui savent vivre : ses vers salés emplissaient les pages du Chat noir au côté des fables d’Allais… Et la concurrence a bien senti qu’il y avait là matière à niche profitable. Vadrouilleur lui aussi, Jean Richepin tente ses Truandailles, Charles-Henry Hirsch utilise comme Méténier les soubresauts apaches de l’affaire Casque d’or pour monter le duo du Tigre et Marguerite, sans oublier Maurice Beaubourg…
Né le 17 janvier 1859 dans le Cher, Oscar Méténier était un fils d’un policier. C’est à son passage dans le salon littéraire du catholique Charles Buet que Méténier dût ses débuts pleins de ressort. Par la suite, son activité se divisa entre littéraire (journaux, romans, etc.) et théâtre où il montrait une disposition assez particulière pour faire scandale. Notamment pour faire interdire ses pièces, dès lors qu’il mettait en scène des prostituées ou qu’il osait mettre sur les planches d’authentiques voyous… Il fit beaucoup mieux : il acheta le théâtre de l’impasse Chaptal où il développa son théâtre du Grand-Guignol, et avec lui un concept tout nouveau de spectacle dont Mouézy-Eon fit ronfler la machine en multipliant encore les scènes « à raisiné ». Méténier quant à lui subit quelques difficultés à suivre. Atteint de plein fouet par les conséquences d’une vieille syphilis, il perdit ses moyens intellectuels peu à peu, fut convaincu de plagiat… Il en est réduit à vendre son théâtre en 1898.
À travers les nouvelles qu’il vient de rééditer, René-Pierre Colin a su mettre en évidence la patte de Méténier, fabricant d’histoires vraies et poilues, peintre des instincts populaciers et des engouements populaires. Vieux copain de l’engeance humaine, Méténier taille avec beaucoup de chic dans la peinture de genre des croupières ciselées. Ainsi d’une scène de mise à mort par guillotine d’un prisonnier de La Roquette : à peine un peu de sang – dans lequel un cabot trempe tout de même son mouchoir –, aucune insistance sur le glissement de la lame mais ce moment périphérique qui dit l’électricité de la foule et montre que Méténier est un écrivain de talent :
« Au premier barrage, parmi cette foule qui n’a rien vu, mais qui a passé la nuit là, attirée par cette sympathie inexplicable de l’homme vers un autre homme, qui va mourir, et qui, seul dans l’humanité, sait à quel moment précis et de quelle mort il va mourir, – une fille, aux traits fatigués, est reconnue. C’est la maîtresse d’un assassin qui a fini ses jours ici deux ans avant !… Elle ne manque pas une exécution… Elle suit d’un regard indéfinissable le fourgon qui s’éloigne, puis elle monte dans sa voiture, part poursuivie par les invectives.
Va donc, eh ! môme la crotte !
Puis tout le monde s’écoule très calme, pensant qu’un greffier de la Cour d’appel se rend à la Mairie du XIe arrondissement pour faire rédiger l’acte de décès du condamné, “décédé ce matin place de la Roquette, à onze heures et demie” ».
Éric Dussert
Études d’argot, nouvelles apaches, d’Oscar Méténier
présentées par René-Pierre Colin, Du Lérot, 221 pages, 28 €