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Égarés, oubliés Naître qu’à Venise

novembre 2023 | Le Matricule des Anges n°248 | par Éric Dussert

Vénitienne, la romancière et traductrice Liliana Magrini a peint, en deux livres, sa ville natale comme personne d’autre ne pouvait le faire. Visite privée.

Avec les chats, les dauphins et quelques bimbeloteries de ce genre, Venise s’est incrustée au cœur de l’imaginaire collectif. Au point que son encrage lagunaire paraît très insignifiant aux côtés de son inscription symbolique, et c’est tant vrai qu’aucun écrivain français en manque d’inspiration (Sollers et ses pairs par exemple) n’a résisté longtemps au charme de la Sérénissime. Le remède souverain contre l’ininspiration, c’est Venise ! Heureusement que d’authentiques Vénitiens apportent leur pierre roborative, avec du solide : Robert Ferrucci dans Venise est lagune (La Contre-Allée, 2016) par exemple ; il succède à une dame épatante, Liliana Magrini, dont on n’a longtemps pas fait grand cas.
Née le 13 octobre 1917, elle était journaliste, menant le plus souvent une activité de critique littéraire et de traductrice. Diplômée de la faculté de philosophie de l’université de Padoue, elle était fille d’un ingénieur et d’une intellectuelle, qui lui aura permis d’entrer en contact avec Bontempelli, Moravia ou Aleramo… Mariée à un officier dont elle aura deux filles avant que la vie ne sépare le couple. Liliana s’installe à nouveau à Venise. Elle délaisse peu à peu la philosophie pour se tourner vers la littérature, française en particulier. Elle écrit aussi son premier roman La Vestale (Gallimard, 1953 ; rééd. Serge Safran, 2023) dont elle assure elle-même la traduction lorsque Camus, qui fait partie de ses fréquentations, lui propose de le publier. La version italienne initiale a été perdue mais ce n’est pas moins un vrai roman italien dont le personnage central est Venise. On en découvre l’histoire méconnue, de notre côté des Alpes, des années 1943 à 1945, de l’invasion alliée en Sicile à la fin de la guerre. Probablement un peu autobiographique, le roman évoque des êtres en résistance, travaillés par leurs culpabilités et la violence tandis que persistent, évidemment, les relations qui s’établissent naturellement entre les êtres. La vestale, qui n’en est certes pas une, quitte son fiancé, entre en résistance, quitte la Résistance, aime un écrivain et s’en sépare, refuse l’enfant qui vient, se jette dans les bras de la solitude : « depuis quelque temps elle cherchait la solitude par une sorte de peur des autres. Elle les fuyait… tout en voulant passionnément rejoindre. Il fallait s’avouer qu’aujourd’hui, plus que jamais séparée, elle avait les mains vides ; que par tout son effort pour se réaliser de façon totale, elle n’avait abouti qu’à n’être plus personne ».

À ses côtés, Venise, toujours Venise, s’exprime. Comme dans son Carnet vénitien qui paraît aussitôt après (Gallimard, 1956 ; rééd. Serge Safran, 2021). Entre deux cultures, Liliana Magrini passe du temps à Paris où la mènent ses travaux de traduction. Elle y fréquente Camus et ses amis Jean Bloch-Michel, Louis Guilloux, avec lequel elle entretient durant des années une histoire sentimentale (et la traduction des Fiancés de Manzoni), Malraux, etc. Éloigné des canaux, ce livre exprime sa profonde nostalgie. Sur une année, elle y évoque la fête des verriers, le Fresco, la maison de Goldoni, les dentellières, les manèges autour desquels gravitent les gamins, les vieilles gens, les jeunes gens, les travailleurs, toute la vie d’un peuple en toutes saisons. « Il n’est pas toujours facile d’aimer Venise, l’hiver. Il y faut parfois quelques efforts : et, toujours un cœur bien attentif. Elle n’y aide pas, dépouillée comme un théâtre en plein jour. Que le ciel colle, jaunâtre, aux maisons, ou qu’il soit haut comme aujourd’hui, d’un gris translucide, jamais une ombre, une lumière brisée ne distrait ou ne voile sa nudité. Ni l’eau : verte ou grise, elle n’est qu’un miroir qui projette sur la ville une clarté cruelle. Les jeux sont finis. » C’est une Venise inconnue des touristes qui sommeille. Elle bruisse des artisanats variés, on y croise notables et bourgeois. Elle est à la fois majestueuse et provinciale, repliée sur elle-même, parcourue par les gagne-petit, les pêcheurs, les gondoliers. On n’y boit pas plus de spritz que ça… « Il en est, note Liliana Magrini, des lieux comme des êtres certains, on les aime avec mauvaise conscience. C’est parfois le cas pour Venise. » La nostalgie, camarade, n’empêche pas les mirages non plus que les miracles qui offrent chacun ce qui contribue à émerveiller : « La lumière aujourd’hui sur la lagune est tellement épuisée que le blanc du ciel et de l’eau n’est qu’une absence de couleur, et contre la lumière, le vert de feuillages et le noir et la brique une seule obscurité cendrée ».
À la suite du double décès de sa mère et de son mentor Camus, Liliana sombre dans une profonde dépression. Elle rebondit cependant, entreprend des chroniques, s’installe à Rome où elle travaille pour les éditions Liocorno, mais elle n’écrit plus. Liée à Giorgio Bassani, elle se tourne ensuite vers l’Afrique, tisse des liens avec Senghor et Bourguiba et œuvre pour un institut de recherche consacré aux relations de l’Italie avec les pays africains. Faute de pouvoir s’offrir un logement à Venise, elle passe ses dernières années à Rome avant de rentrer in extremis au pays pour y mourir seule, comme elle l’avait souhaité. Liliana Magrini s’est éteinte le 2 juillet 1985… à Venise.

Éric Dussert

Naître qu’à Venise Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°248 , novembre 2023.
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