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Poésie Le désastre et la splendeur

mars 2018 | Le Matricule des Anges n°191 | par Richard Blin

À une œuvre-vertige tout en ébranlement, Bernard Desportes ajoute deux recueils de poésie qui disent la détresse de l’homme en perpétuelle instance d’être.

Brêve histoire de la poésie par temps de barbarie

La poésie qu’écrit et que défend Bernard Desportes est l’adversaire de toutes les contraintes, l’ennemie de tous les pouvoirs. C’est dire qu’elle n’a rien à voir avec la « vieille poésie subjective toujours horriblement fadasse » ou celle des « écolos d’la rime saine appointés pour foire à pouèt’s ». Elle est défi au sens commun et exempte de tout enseignement puisqu’elle n’apporte ni savoir ni lumière ni réponse à l’angoisse des hommes. Elle n’est donc d’aucun secours, ce qui la fait juger inadmissible autant qu’infréquentable parce qu’inutile à la société.
C’est qu’il ne s’agit pas de dire le sens ou de redire ce que le monde dit, mais de dire « ce que l’homme quelquefois a cru voir », ce que seul l’homme peut dire, que le monde ne dit pas. Non pas « la répétition sénile » d’un monde où tout serait toujours possible et potentiellement accessible, mais l’impossible dans un monde d’où « la vraie vie est absente » comme le savait Rimbaud. La poésie, dit Desportes, « n’a ni berge, ni bord, ni rempart – elle passe outre, elle est ailleurs ». Elle noue avec le monde un rapport de construction/destruction. Elle ne révèle et ne renforce que notre dénuement, notre solitude, notre nudité.
Acte d’insoumission et refus d’un monde « où l’action n’est pas la sœur du rêve » (Baudelaire), elle se déploie dans les marges de l’impossible, n’adhère qu’à l’élan que cet impossible suscite vers l’immédiat insaisissable de ce qui est tout à la fois présent et inconnu. Là où l’on n’admet que du cliché, du génital ou du sentimental, Desportes réinstille du sauvage, de l’altérité, du mythobiographique, s’engage sur la voie d’un inconnu qui se confond avec la liberté et la plénitude mais aussi tous les risques de confrontation à l’impensable ou à l’inhumain. Une écriture de l’excès, une expérience des limites qui est exploration du devenir-animal de l’homme. D’où une langue de nuit qui nous place devant une réalité où tout se perd, qui nous plonge au cœur d’un présent sans passé ni futur, sans regret ni espérance. « Je me vends je me loue je m’offre au premier venu qui m’écartèle / et me divise par pitié parce qu’il est le premier venu ».
Dans toute sa déchirure et sa violence, une parole riche de mille échos venus de la bibliothèque élective de l’auteur (Bataille, Artaud, Rimbaud, du Bouchet, Reverdy, Pessoa, Faulkner, Césaire, Coetzee, Maurice Blanchard…) tisse, déploie la Brève histoire de la poésie par temps de barbarie, sous-titrée « Tentative d’autobiographie ». Une parole qui fouille, ouvre, révèle de manière fragmentaire la part noire et cachée de la poésie, la rimbaldienne dérive des corps et des mots confrontés à l’angoisse sexuelle, au « trou noir » ontologique, à l’obscène, à la mort. « Seul écrit celui qui n’a pas de pudeur, seul celui qui est sans pudeur est capable de se saisir de phrases et de les déballer, et de les jeter tout simplement sur le papier. » Des pages qui ébranlent, subvertissent toutes les catégories de la morale, mettent à nu les soubassements biographiques d’une présence au monde, qui est d’abord celle d’un homme nu, perdu, éphémère, marchant dans le désastre du monde, les « lèvres au bord de l’horizon ». Un homme pour qui « la seule vie réellement vécue » est le poème, de par sa capacité à réinventer du temps dans l’espace, et à se réapproprier la violence du réel d’un instant.
Cette poésie de l’instant présent, de sa splendeur et de son désastre, un second livre, Le Cri muet, en décline quelques éclats. Réunissant des formes d’écriture très diverses – poèmes, proses, courts essais, lettres – il se présente lui aussi comme une sorte d’autobiographie sans début, sans fin, sans bord. De biographèmes déterritorialisés en « fragments d’éternité », ce sont les pas d’un homme qui tente d’être, et de s’appartenir en appartenant au monde, que nous suivons. Sous un ciel d’un bleu bataillien, dans l’air, la lumière et le vent, il arpente l’espace en quête de « cela qui disparaît des routes / des villes des langues / et pourtant demeure / dans les plis du vent ». La marche « pour tenir / mais nul lieu / pour accueillir la marche / qui me tient debout ». Marche vers un réel inatteignable, en quête du visage de ce qui n’a pas de visage. Marche entre sens et non-sens au plus près de son propre abîme. « Ma mère morte / Le bord du ciel / le bord du monde les nègres / les lourdes queues noires / le foutre épais blanc / le ventre noué / la route qui troue l’horizon // l’épaisseur du silence du monde // l’orage noir dans le soleil levant ». 

Richard Blin

Bernard Desportes, Brève histoire de la poésie par temps de barbarie, La Lettre volée, 112 pages, 17 et Le Cri muet,
Al Manar, 96 pages, 18

Le désastre et la splendeur Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°191 , mars 2018.
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