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Domaine français Jeter l’ancre chez les morts

juin 2018 | Le Matricule des Anges n°194 | par Thierry Guichard

D’un tombeau écrit pour son père, Jacques Josse tire les fils d’une mémoire aussi intime qu’universelle. Et convie au Comptoir des ombres des défunts auxquels sa phrase offre une part d’éternité.

Comptoir des ombres

Ce sont des textes courts, assemblés en liasses, qui constituent Comptoir des ombres. Instantanés arrachés à la pénombre de la mémoire, jetés noirs sur la page blanche que la lumière d’une écriture sensible rend à la vie. Cénotaphes de corps passés du silence au silence, silhouettes aperçues peut-être durant l’enfance, penchées sur des comptoirs où le jaune de la bière est le seul or qu’on puisse s’offrir, chaque texte assemble les lambeaux d’une humanité « mal en vie » et l’ensemble finit par dresser le portrait d’une communauté de poètes, que ces hommes-là aient écrits des livres ou non. Poètes ou martyrs comme le fut « François Labia, mousse parti du hameau en 1903 et revenu, huit mois plus tard, anéanti par le long calvaire subi à bord de la goélette Amélie-Julia. Attaché (pendu nu) au mât par nuit de grand froid, il eut le nez écrasé à coups de gaffe (…). Et dut enfin, durant des mois, assister au martyre des matelots Édouard Josmin et Hyacinthe Goffrique, originaires eux aussi de Liscorno, morts (torturés) et jetés par-dessus bord. » Sortis du trou noir de l’oubli, sans trompettes ni fanfare, ces hommes qu’on rencontre au Comptoir des ombres, Jacques Josse nous les rend aussitôt fraternels sans cacher – au contraire – leur misère, sans poser sur leur carcasse des habits du dimanche, des costumes funéraires qui les auraient travestis. Certains ont un nom que l’oubli a rongé, comme celui-ci qui déambule une laisse à la main, l’absence d’un chien au bout et qui « traverse le bourg en zébrant l’air avec la laisse de l’animal mort et déclare à la vieille qui se signe en l’écoutant divaguer, qu’un jour prochain ce bout de corde fine lui suffira pour rejoindre celui qui fut son seul ami. » L’écrivain côtoie les vivants et les morts dans une porosité de la langue qui atténue la frontière entre les deux royaumes. Apanage des poètes, ces « porteurs d’ombre » comme ceux auxquels le livre rend de splendides hommages dans ses dernières pages : Alain Jégou, Alain Malherbe et le prince des bistrots parisiens, Yves Martin.
Celui qui est au cœur de Débarqué n’est pas un père spirituel, mais le père biologique de l’auteur, disparu en 2008 dans la banalité de l’hôpital. De cette mort naissent mille souvenirs que le livre recueille comme un héritage : « Pour lui, les morts ne l’étaient pas tout à fait. Il y avait dans l’enclos au-dessus duquel tournoyaient des nuées de mouettes, de nombreux marins qui nous escortaient. Ils entendaient nos pas crisser sur les graviers. Aux disparus du dessous se joignaient les défunts pailletés de mystère, ces hommes qui ne gisaient pas dans les tombes. Leurs noms figuraient sur la pierre mais leurs corps, ensevelis sous les vagues, dérivaient pour l’instant dans d’indivisibles bas-fonds. »
À la manière des Vies minuscules, le livre rassemble d’autres morts, grand-mère, oncle ou ce voisin en conflit avec le monde qu’on retrouve « pendu au plafond de la cuisine. La veille, il avait tué son chien Domino, un loulou blanc qui le suivait partout en remuant la queue et en le regardant sans arrêt, d’un coup de lame à la gorge. » Et dont le fantôme ne cessera d’aboyer aux oreilles de la veuve qui en deviendra folle… Atteint du « haut mal » le père porte le deuil aussi des bateaux sur lesquels il ne peut plus travailler et subira la honte du chômage. Il y a cela aussi dans les livres de Josse, cette injustice qui colle aux vies simples, ce poids qui rive à terre ceux-là même qui rêvent de confins fabuleux, d’horizons mythiques. Et qui partent alors sans jamais quitter le port en hissant les voiles de la littérature : qu’elle s’écrive dans les livres ou s’improvise à ces comptoirs sombres où s’attablent les vivants, les morts et ceux qui sont en mer.
T. G.

Jacques Josse, Comptoir des ombres,
Les Hauts-Fonds, 102 p., 17 ,
Débarqué, La Contre Allée, 149 p., 16

Jeter l’ancre chez les morts Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°194 , juin 2018.
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