James Baldwin : le feu, le sexe, la race
Il faut lire et relire James Baldwin, LE grand écrivain de la question raciale et identitaire, indépassable et indispensable. » C’est le credo de Samuel Légitimus, acteur, metteur en scène et infatigable fondateur du collectif Baldwin en 1993, dont l’une des missions initiales est de maintenir la présence de Baldwin en France et de transmettre son message au plus grand nombre, à travers diverses actions (conférences, débats, lectures, projections, expositions…). Croisons ce regard militant à celui de l’universitaire Jean-Paul Rocchi, professeur à Paris-Est Marne-la-Vallée et spécialiste de littérature africaine-américaine et de théorie queer, auteur d’une thèse consacrée à Baldwin (James Baldwin : écriture et identité), afin de révéler toute l’ampleur de l’œuvre baldwinienne et l’arracher à la « tyrannie des origines ».
Ce qui frappe avant tout chez Baldwin, c’est l’intensité de sa présence, de son écriture, de son engagement. Dans le très bel hommage qu’elle signait dans le New York Times en 1987 après la mort de l’écrivain, Toni Morrison évoquait le triple cadeau que celui-ci lui avait fait – à elle et sans doute toute une génération d’écrivains – : une langue, pleine d’humanité, de beauté et de vérité nue ; un courage, fondé sur l’intelligence et la compassion ; et enfin une immense sensibilité. Comment cette postérité se manifeste-t-elle aujourd’hui ?
Jean-Paul Rocchi : C’est certainement à l’intensité de ce type d’hommage que l’on mesure le passage à la postérité d’une œuvre littéraire. Toni Morrison fut aussi le maître d’œuvre de la canonisation des écrits de James Baldwin en dirigeant les deux volumes de The Library of America (1998) – l’équivalent américain de La Pléiade – qui rassemblent ses essais et ses textes de fiction. La génération de Toni Morrison s’est bien sûr réclamée de lui mais son influence, stylistique et politique, est également perceptible chez les écrivains des années 90 tels que Essex Hemphill, Assotto Saint, Melvin Dixon ou Sapphire et jusque chez les auteurs africains-américains de l’extrême contemporain comme Ta-Nehisi Coates, dont le best-seller Une colère noire (2015), une lettre adressée à son fils, s’inspire directement de la fameuse Lettre à mon neveu écrite par Baldwin en 1963 reproduite dans La Prochaine Fois, le feu. Mais plus frappant encore est l’impact physique – les mots qui touchent, la voix qui s’incarne, la présence qui s’imprime – que l’œuvre et son auteur, l’une prolongeant l’autre, ont eu sur ceux qui ont croisé la route transatlantique de Baldwin. Nombre d’entre eux témoignent que sa rencontre ou sa lecture ont changé leur vie. Cette postérité-là, qui fait du grand écrivain respecté l’artiste populaire dont on se souvient intimement, peu d’auteurs peuvent s’en prévaloir. Baldwin est de ceux-là.
Samuel Légitimus : Le début de la renaissance de Baldwin date réellement de 2014. Cette année-là, deux jeunes Noirs, Trayvon Martin et Michael Brown, étaient assassinés...