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Domaine français Cinéma intérieur

octobre 2018 | Le Matricule des Anges n°197 | par Dominique Aussenac

Le trop discret Jacques Laurans nous gratifie de deux ouvrages. L’un sur l’émoi, l’autre sur l’écrivain Henri Thomas. Gracieux et magnétiques.

Faut-il lire Jacques Laurans en noir et blanc ou en couleur ? Ce cinéphile invétéré, né en 1943, cet esthète (il étudia aux Beaux-Arts, fut critique pour Obliques, la NRF, Jazz Magazine…) excelle dans le travail des ombres et de la lumière, les images, l’iconographie, les références à Kafka. Artisan, il cisèle des enluminures, récits autobiographiques, textes brefs, essais, livres d’artistes, poèmes… De La Beauté du geste (Le Temps qu’il fait, 1982) à L’Image d’un autre monde (Voix d’encre, 2016), en passant par Dans la salle obscure (Seuil, 1997), Pierre Soulages, trois lumières (Farrago, 1999), ces ouvrages laissent derrière eux un sillage vif-argent.
Est-ce l’émoi, le sentiment amoureux qui a créé le cinéma ? Tous deux provoquent des brûlures du même type, évoquent des chambres, du sacré et du profane, de l’Éros et du Thanatos… Quel rite incongru que de se retrouver dans une salle obscure, au milieu d’inconnus, le regard accroché à un faisceau lumineux qui projette sur un écran des gens vivants et ayant vécu, éternellement en mouvement. Jacques Laurans est passé de la lumière éblouissante de son Casablanca natal aux cinémas de quartiers, aux ciné-clubs. L’obscurité des unes ne faisant que surligner les lumières de l’enfance et de l’adolescence. De livre en livre, il les reprojette par écrit.
Si Mes petites amoureuses est un poème de Rimbaud assez grinçant où les os des hymens d’antan s’entrechoquent dans une mélancolie abrupte, le film éponyme de Jean Eustache (1974) évoque d’une manière plus vibrante, fusionnelle les premières amours. Mort à Venise de Visconti, d’après Thomas Mann, décrit la passion amoureuse d’un vieux compositeur pour un jeune éphèbe. Brune à l’encre rouge peut se lire à l’aune de ses deux longs-métrages et de leur singulière prégnance. Une quinzaine de textes courts relatent des rencontres, des émotions, des sentiments, des films. Toutefois ces liaisons apparaissent toutes furtives, fugaces, non suivies d’effets. Extrême timidité du narrateur, peur panique, volonté d’appréhender seulement des éclats, un saisissement ? Seul le souvenir perdure, magnifie, élève de vivantes stèles. D’« Isabelle de Décembre », Laurans écrit : « J’aime aussi son sommeil et ses secousses nocturnes. Sa façon de se redresser, de relever le visage, le front couvert de mèches sombres et rebelles ; puis ce brusque abattement qui, d’un seul coup, l’immobilise comme une pierre. » Lors d’une rencontre dans une librairie montpelliéraine, il met en parallèle la légèreté, la grâce d’Isabelle et la figure mourante de l’écrivain-libraire Jean Debernard. « Une tache rouge, comme une blessure, ou un adieu. » Des textes d’une extrême pudeur exaltent la magie des premiers instants, leur associant la brutalité des fins, ce qui sécrète un étrange précipité, élégant et mortifère. Avec « La Grande Américaine », Jacques Laurans évoque Playtime, le film de Jacques Tati, dans lequel l’acteur-réalisateur, vibrionnant, gaffeur virevolte dans un univers clinquant, autour de Barbara. « Toute la ville est scintillante. Le monde moderne existe. Dans le jour clair et la nuit étoilée. Il ne se prive pas de beauté. » Dans le dernier texte, « L’Impossible amour », il explique peut-être ces romances non abouties en reprenant un fragment narratif de Kafka, où il est question d’une jeune fille « entourée d’un cercle d’hommes armés de lances tournées vers l’extérieur. » Quid ?
Si Jacques Laurans le Méditerranéen déteste le sensationnel, la tonitruance, sa voix précieuse, ténue porte très loin. Un peu comme celle du Vosgien ébloui par la mer, Henri Thomas, dont il analyse l’œuvre. Tombé un peu dans l’oubli, le natif d’Anglemont n’en a pas moins publié une vingtaine de romans, des nouvelles, des recueils de poèmes, des traductions, des correspondances avec Georges Perros, Jean Paulhan et Jean Follain. De ses écrits, insensiblement « quelque chose se détache de la narration, change de tonalité, de résonance ; une sorte de décollement se produit à l’intérieur d’une situation d’apparence commune ; une forme d’étrangeté s’installe, détournant à peine le cours des choses, dans la profondeur et le secret d’une expérience unique menée jusqu’à son terme  ».
Dominique Aussenac

Jacques Laurens Brune à l’encre rouge,
Le Temps qu’il fait, 96 pages, 14
Henri Thomas, Éditions des Vanneaux, 304 pages, 19

Cinéma intérieur Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°197 , octobre 2018.
LMDA papier n°197
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