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Histoire littéraire L’esprit de Dostoïevski

avril 2019 | Le Matricule des Anges n°202 | par Thierry Guinhut

Une monumentale biographie restitue la vie et l’œuvre de l’auteur des Frères Karamazov dans le contexte socio-historique russe.

Dostoïevski, un écrivain dans son temps

Tel un défi, la biographie de l’auteur d’une œuvre-phare doit embrasser tout un siècle d’Histoire et de bouillonnement culturel, pour voir surgir toutes les conditions et les clés de la création romanesque. Défi d’autant plus risqué s’il s’agit d’un auteur aussi contrasté, aussi cataclysmique que Dostoïevski (1821-1881). Joseph Frank, éminent universitaire américain, qui consacra sa vie à l’écrivain russe, y parvient. Il fouille les archives, la correspondance, les témoignages, balaye toutes les sources possibles, souvent inédites, brosse d’une main démiurgique les tableaux impressionnants du contexte culturel et analyse les œuvres, bien au-delà de la seule vie personnelle. Au point que l’on se demande si ce travail, toujours passionnant – en fait une synthèse des cinq volumes initiaux parus dans les années 70 –, a dépassé les qualités du Joyce de Richard Ellmann, du Nabokov de Brian Boyd…
L’œuvre entière de Dostoïevski trace un sillage incandescent au travers des conflits politiques qui étranglent la Russie du XIXe siècle, entre tsarisme despotique et intelligentsia libérale, entre répression et impulsion révolutionnaire. Aussi, naissant dans une famille qui n’est pas noblesse terrienne (comme Pouchkine, Gogol ou Tolstoï), doit-il affermir son ambition. Une solide éducation, y compris française et religieuse, la fréquentation des paysans, la lecture de romans gothiques, de Pouchkine et de Schelling, font le terreau de son œuvre future et de la conviction que l’art est chemin vers la transcendance. Il obtint d’abord un succès réel avec le réalisme des Pauvres gens en 1846.
À l’occasion d’une conspiration anti-absolutiste dans un cercle littéraire, il est arrêté en 1849. Son procès aboutissant à une fatale condamnation fut commué en dix ans de bagne et d’exil ; cependant « cette confrontation avec la mort avait laissé des traces ineffaçables ». Les Souvenirs de la maison des morts agrègent la découverte du peuple russe et le mysticisme. Le « romantisme métaphysique », le repli nationaliste, le « christianisme social et humanitaire », la critique au scalpel des mouvements révolutionnaires le conduisent à ourdir Crime et châtiment et Les Frères Karamazov, où domine le personnage du « Grand Inquisiteur ». Ils font de Dostoïevski, selon Joseph Frank, « l’égal des tragiques grecs et élisabéthains, de Dante, de Milton et de Shakespeare. Rares sont les romanciers qui se sont élevés à de telles altitudes  »…
Échafauder des plans de romans jamais entrepris, ruser avec la censure, batailler avec son inspiration rétive ou fluviale, achever des chefs-d’œuvre, tels sont les tourments et les joies de l’écrivain, qui embrasse la psychologie de ses personnages complexes, entre sainteté et folie, les débats intellectuels d’une Russie politiquement déchirée, mais aussi des perspectives métaphysiques affolantes : « Idées et personnages deviennent indissociables ». Ainsi l’horreur de la destruction des liens familiaux amène les frères Karamazov au désastre. La connaissance intime de toutes les strates de la société est une des clés de l’œuvre : il fréquenta les criminels du bagne et, grâce à ses succès, fut invité à dîner auprès des jeunes gens de la famille du tsar…
Ce n’est pas user du petit bout de la lorgnette que lire, parallèlement, le Journal (1867) d’Anna, la seconde épouse de Fiodor, spectatrice impuissante de la santé troublée de l’écrivain, de ses « attaques  » et «  convulsions », lorsqu’il travaille au manuscrit de L’Idiot. Si Nora Joyce était incapable de s’intéresser à l’œuvre de son mari, ce n’était pas le cas d’Anna. Elle écrit sous la dictée de son « Fedia », lit Balzac, écoute un «  inepte » congrès sur la Paix, recourt aux prêteurs à gages tant l’argent est rare, confie sa jalousie à l’encontre de quelques femmes de lettres. Querelles, réconciliations et mots d’amour se bousculent : « N’insistons pas, car il est bien connu qu’aucun mari ne trouve sa femme intelligente, bonne, cultivée ». Entre tendresse et impécuniosité, fulgurances et panne d’écriture, le témoignage d’Anna illustre le dévouement et la difficulté d’aimer un génie si torturé, adonné aux désastreux jeux d’argent, qui nourrit son œuvre de toutes ces angoisses, comme dans Le Joueur. Certes, elle ne semble pas toujours comprendre la portée de l’œuvre de son mari, auquel elle survivra, mais il faut lui rendre grâce d’avoir été auprès de lui, solide et aimante.
Thierry Guinhut

Dostoïevski, un écrivain dans son temps, de Joseph Frank
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Pierre Ricard, Syrtes, 1056 pages, 33
Journal (1867), d’Anna Dostoïevski
Traduit du russe par Jean-Claude Lanne, Syrtes, 304 pages, 11

L’esprit de Dostoïevski Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°202 , avril 2019.
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