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Essais Premières armes

juin 2019 | Le Matricule des Anges n°204 | par Valérie Nigdélian

On en espérait la réédition : Gallimard publie le tout premier recueil d’essais de James Baldwin dans une nouvelle traduction de Marie Darrieussecq.

Chroniques d’un enfant du pays

C’est l’occasion de se plonger à nouveau dans la langue dense, sûre et subtile de James Balwin, et de remonter le temps avec lui jusque dans les années 1950, de l’autre côté de l’Atlantique, en pleine ségrégation. Écrits pour diverses revues entre 1948 et 1955 – date de leur publication en volume aux États-Unis –, ces essais imposent un jeune romancier noir de 30 ans (La Conversion et La Chambre de Giovanni ont été publiés en 1953 et 1954) comme un penseur incontournable du « problème noir », même si, de son propre aveu et jusque-là, Baldwin « ne (s)’était jamais vu comme un essayiste : l’idée ne (lui) avait jamais traversé l’esprit ». Le recueil est pourtant un coup de maître. Composant un triptyque à l’équilibre parfait, la vision, pleine et ample, se déploie d’analyses théoriques en réflexions intimes, d’anecdotes en souvenirs, de romans lus en films vus. S’élargit en cercles concentriques, depuis le ghetto de Harlem ou le Sud, depuis Paris ou les montagnes suisses. Baldwin interroge : dans la fiction d’abord, les stéréotypes consensuels de la bien-pensance blanche, la voie sans issue de la protestation noire. Dans les représentations et les mythes fondateurs de la société blanche américaine, ensuite, son innocence délétère et son immaturité crasse qu’incarnent ses rêves de retour à un paradis originel, immaculé – « car ce monde n’est plus blanc, et il ne le sera jamais plus ». L’intensité est là, déjà, qui découle de l’art de Baldwin à entrelacer une totale subjectivité – l’expérience propre du « gamin aux yeux exorbités, à la langue liée » qu’il était, celle du « survivant » qu’il deviendrait – à l’histoire tragique d’une communauté vouée à des « vies violentes » et d’un pays fracturé. Comme est là aussi déjà l’exigence, radicale, de justice et de vérité. Et la nécessité, fermement affirmée, d’un changement de paradigme.
On lira notamment le saisissant « Emportés par milliers », où vibre un « nous, les Américains » d’une scandaleuse puissance critique. Littéralement proféré, ce « nous, les Américains » dit sans réserve ni compromis l’appartenance collective, récuse à la fois le suprématisme et le progressisme – qu’il soit noir ou blanc (« du maquillage sur un lépreux ») –, fait imploser le point de vue victimaire tout autant que la « bonne conscience satisfaite » des dénonciations moralisantes. Dans ce « nous, les Américains », il y a toute la puissance de feu d’un sujet retrouvé, plein et entier, et de sa capacité à régénérer une société sclérosée et moribonde.
L’expérience parisienne de Baldwin (où il arrive sans un sou en poche en 1948) et ses séjours répétés dans le petit village suisse où il rejoint son ami Lucien Happersberger (voir le très beau « Un étranger au village »), viennent creuser la perspective, l’affiner : par l’épreuve de l’ailleurs, des limites se dessinent à l’aventure de l’exil et de la fuite, aux fantasmes de la tabula rasa, de l’effacement d’une identité à réinventer telle une page à réécrire. Et peuvent ressurgir alors, plus assumés, moins tremblés, les caractères proprement ineffaçables de l’héritage, de l’étrangeté constitutive. C’est aussi dans le vieux monde que s’élabore une conscience nette de la spécificité de l’expérience noire américaine comparée à celle des Africains « seulement » colonisés : celle d’une aliénation totale, absolue, à laquelle il faudra répondre non par la haine – qui ne fait que « renforcer les principes actifs de l’oppression qu’(elle) dénonce (…) » –, non par le mépris – qui détruit tout autant son objet que son sujet –, mais par ce « nous » non négociable.
Cette sortie nécessaire par le haut acquiert en outre une singulière profondeur avec l’essai qui donne son nom au recueil. Baldwin y dresse un magnifique portrait de son père, ce prédicateur fier, cruel et paranoïaque, né dans le Sud au début du siècle et terrifié par le monde blanc. Telle une parabole biblique, « l’apocalypse » qui s’abat sur Harlem le jour de ses funérailles le 3 août 1943 (jour du dix-neuvième anniversaire de Jimmy) vient figurer l’héritage destructeur que le père laissait au fils, et que celui-ci, bien plus tard, après avoir traversé bien des méandres intérieurs, refuserait, au moins un temps : « une jungle de verre brisé », « les décombres de l’injustice, de l’anarchie, du mécontentement et de la haine », le fruit des émeutes sur le chemin de l’église, jusqu’au cimetière.
Valérie Nigdélian

Chroniques d’un enfant du pays,
de James Baldwin
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Darrieussecq, Gallimard, 226 pages, 20

Premières armes Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°204 , juin 2019.
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