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Domaine français Viva la Vida !

juin 2019 | Le Matricule des Anges n°204 | par Thierry Guichard

Dans un récit ironique, enlevé et mordant, Lydie Salvayre mène une réflexion intime sur l’art. Avec au bout, un bras d’honneur fait à la mort.

Marcher jusqu’au soir

Invitée par Alina Gurdiel à passer une nuit au musée Picasso dans la compagnie de L’Homme qui marche de Giacometti, pour en écrire un texte, Lydie Salvayre déploie une réflexion virulente sur les musées pour justifier de son refus catégorique. Dès l’exergue qui cite Baudelaire (« Qu’est-ce que l’art ? Prostitution »), elle s’arc-boute sur son rejet d’un art institutionnalisé. Et pour combattre la tentation, la romancière associe à un uppercut ravageur un jeu de langue rapide et souple : ses phrases piquent à droite, plongent à gauche et sa frappe touche au plexus. Dès l’incipit qui nous hisse sur le ring, les rimes intérieures en é (« e ») sont autant de feintes que le boxeur enchaîne pour ouvrir à son poing le chemin du K.-O. (« o »). Incipit donc : « Non, je lui ai dit non merci, je n’aime pas les musées, trop de beautés concentrées au même endroit, trop de génie, trop de grâce, trop d’esprit, trop de splendeurs, trop de richesses, trop de chairs exposées, trop de seins, trop de culs, trop de choses admirables. Résultat : les œuvres entassées s’écrasent les unes sur les autres comme les bêtes compressées d’un troupeau et la singularité propre à chacune d’elles se voit aussitôt étouffée. » Phonétiquement la danse est rythmée (e - o – e – e – o – o – e) jusqu’au staccato des coups (la déferlante des « trop » qui sont déclinés dans « troupeau » et « aussitôt »). Le lecteur s’y laisse d’autant plus prendre que l’auteure virtuose joue du contraste entre langue populaire («  culs ») et langage soutenu (avec, plus loin, une défense illustrée de l’imparfait du subjonctif). Si le rythme et l’orchestration sont en harmonie, c’est pour faire danser la pensée. Trois mouvements dans le livre : l’ouverture en fugato allegro correspond au refus de l’invitation et multiplie les arguments avec une joyeuse mauvaise foi, puis la chaconne sur le mode lamento fait entendre les variations autour de l’enfermement, et enfin la toccata finale dans laquelle c’est la mort qui meurt, terrassée par une écrivaine qui venge tous les Don Quichotte, tous ceux que la morale opprime et toutes ses morts intimes qui gémissent en français et rêvent en espagnol. Trois mouvements pour aiguiser au couteau une pensée qui préfère à l’austérité de la tour d’ivoire le fumier des humeurs et des sentiments. On retrouve ici la Lydie Salvayre de La Puissance des mouches, la fiction en moins, l’impudeur en plus.
Après avoir refusé l’invitation de son amie (« Je lui ai dit non, n’insiste pas, non, je t’ai déjà dit non, c’est non ni plus ni moins, désolée, je ne négocie pas mes convictions »)… elle se retrouve au bord d’un lit de camp, L’Homme qui marche à côté d’elle. La nuit sera longue. Et pénible. Elle qui avait nourri une passion pour Giacometti ne ressent rien. Au point de se sentir handicapée. D’un handicap consécutif à cette honte que les nés modestes nourrissent vis-à-vis de la Culture et de l’Art quand les grands du monde leur collent une majuscule. Les souvenirs douloureux de « l’enfance bousculée » remontent, la violence du père, le mépris social plus tard, la folie d’un jeune assassin qu’interne dans un hôpital psychiatrie elle voit « secoué vingt-quatre heures durant et sans interruption d’un rire terrible, du rire le plus noir qui se puisse concevoir, d’un rire monstrueux, d’un rire qui est comme un hurlement monstrueux, un hurlement de terreur monstrueux, d’un rire monstrueusement discordant, le plus monstrueusement discordant que je n’aie jamais entendu, le rire qu’on prêterait au diable s’il existait, ou à qui aurait perdu toute humanité. » Dans cette nuit qui s’est terriblement assombrie, les coups que l’auteur voulait porter à l’art, c’est à elle-même qu’elle les porte jusqu’à atteindre sa part d’inhumanité intime. Mais la langue est là, virulente et rebelle, vivifiante dans ses saillies, nourrie à Rabelais et aux porches des faubourgs, gouailleuse et raffinée en même temps, inventive bougrement. La langue illumine la nuit.
Le troisième mouvement commence par un exercice que Lydie Salvayre affectionne : l’exercice d’admiration (sur Hendrix, B.W., sa mère et Giacometti ici) grâce auquel la remontée vers l’humanité se fait. Et la romancière trouve, au terme d’une nuit qui aura duré plusieurs jours, la beauté qu’elle attendait et qui est, définitivement, la vie. T. G.

Marcher jusqu’au soir, de Lydie Salvayre
Stock, « Ma nuit au musée », 210 pages, 18

Viva la Vida ! Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°204 , juin 2019.
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