Santiago H. Amigorena : peupler le silence
L’homme parle avec une délicate douceur, comme si son souffle ne devait pas déranger la transparence de l’air. Sous sa chevelure d’éternel adolescent, son regard se porte sur le monde avec la bienveillance de ceux qui sont revenus de tout et reçoivent chaque événement, aussi minuscule soit-il, comme la possibilité d’un émerveillement. Quand on l’a lu, on se dit qu’il y a là peut-être une forme de protection, à défaut d’être une carapace : s’ouvrir à ce qui advient est un moyen aussi de se préserver. Dans 1978 le portrait de son alter ego fictionnel que dresse le narrateur le présente sans cesse, lycéen, en train de pleurer. Des pleurs sans cris et sans plainte, venus d’un trop-plein de sensibilité peut-être et qui font penser à l’impeccable phrase d’Henri Calet : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. » Secoué, le gamin qu’il fut l’a certes été, comme s’il était écrit, quelque part, que ceux de sa famille, par l’Histoire furieuse, le seraient toujours. En décryptant son premier roman, Une enfance laconique (1998) aux tonalités parfois maldoriennes, on voit un aïeul traverser les steppes d’Ukraine à la recherche d’une promise pour son père, qu’il ramènera morte après l’avoir aimée. On voit cette branche familiale quitter les terres de la grande Russie au lendemain des premiers pogroms, quand d’autres aïeux, vont se retrouver pris dans les serres du nazisme, enfermés dans le ghetto d’un pays où les chambres à gaz viendront parapher d’un trait noir les progrès de la révolution industrielle. Peut-on avoir des origines juives, du sang présumé indien, des ancêtres basques et ne rien connaître des soubresauts de l’Histoire ?
L’Argentine, qui fut le lieu du refuge des ancêtres, fourbit les armes des dictatures à venir quand Santiago H. Amigorena naît à Buenos Aires en été 1962. Le 15 février, précisément : nous sommes, pour onze ans encore, en hémisphère Sud. Un fils est déjà né, en 1960, dans cette famille ou père et mère sont psychanalystes. Le père de Santiago enseigne aussi à l’Université. En 1966, avec le coup d’État du général Juan Carlos Onganía, s’ouvre une période de totalitarismes et de violences dans le pays. Onganía met l’Université au pas, et avec la nuit des longs bâtons en janvier 1966, ce sont les professeurs et les étudiants qui sont violentés, menacés de tortures. En même temps, une loi est promulguée interdisant aux psychanalystes non médecins d’exercer leur profession. La famille s’exile en Uruguay, le pays voisin, et va habiter d’abord deux mois dans un quartier excentré de Montevideo avant de trouver refuge dans une grande demeure au barrio de Pocitos qui donne sur la plage. La maison fera figure de lieu idyllique dans l’œuvre à venir, évoquée pour souligner le contraste avec le premier appartement parisien de la famille. « J’écris sur cette période de ma vie, en ce moment. C’est une des parties manquantes, Le Premier Exil… ». C’est donc à Montevideo que le gamin fait l’apprentissage de la vie. S’il lit déjà,...