Comment le comédien Béla Blaskó, né à la fin du XIXe siècle dans ce qui était encore l’Autriche-Hongrie, est-il devenu Bela Lugosi, acteur américain incarnant mieux que personne une certaine idée de l’épouvante ? Ou mieux encore : comment en vint-il non seulement à jouer le comte Dracula au cinéma, mais à être celui-ci jusqu’au bout de ses ongles longs ? Voilà la question que s’est posée Edgardo Franzosini dans cette « biographie d’une métamorphose ». Son point de départ est en réalité un point final, celui des dernières paroles de Lugosi au moment de s’éteindre, le 16 juin 1956 : « Je suis le comte Dracula, je suis le roi des vampires, je suis immortel ». Des propos certes extravagants, évoquant une identification quasi maladive de l’acteur à son personnage. Pour autant, quiconque aura vu le film de Tod Browning ne pourra qu’acquiescer : Lugosi était né pour ce rôle, « son personnage fatal », et n’en aura jamais d’autre aussi flamboyant. C’est dans ces habits-là, d’abord testés sur les planches, que donnera toute sa mesure ce que Franzosini nomme « le potentiel tyrannique de séduction » que l’acteur « se trouve exercer à son insu ». D’une certaine manière, l’immortalité qu’il revendiquera au seuil de la mort était annoncée dès l’instant où sa silhouette imposante endossa sur pellicule la cape du vampire (une cape et un frac, car Lugosi modifia durablement l’image de Dracula). C’est ainsi, du moins, que le formulera – « une sorte de prémonition de mauvais augure » – un journaliste à la sortie du film (des propos sur lesquels notre Italien s’empresse de faire main basse) : « L’interprétation de Lugosi est au point non seulement de lui valoir la célébrité, mais aussi l’immortalité ! » Le sort en est jeté : Lugosi sera condamné à vivre dans une « maison ensorcelée » pleine de toiles d’araignées et de chauve-souris. Le voilà piégé et c’est l’histoire fascinante de ce piège que nous conte avec intelligence et humour Franzosini.
Guillaume Contré
Bela Lugosi, biographie d’une métamorphose, d’Edgardo Franzosini
Traduit de l’italien par Thierry Gillybœuf,
La Baconnière, 132 p., 14 €
Histoire littéraire Un acteur vampirisé
février 2020 | Le Matricule des Anges n°210
| par
Guillaume Contré
Un livre
Un acteur vampirisé
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°210
, février 2020.