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Domaine français La nature du roman

février 2020 | Le Matricule des Anges n°210 | par Richard Blin

Le chef-d’œuvre de Pierre Bourgeade, Warum, connaît une nouvelle édition. Quand la variété des désirs et la part d’ombre de l’érotisme le disputent à la mélancolie et au manque à exister.

Jourquoi ce titre, Warum, sinon pour annoncer des esquisses de réponses, proposer une sorte d’art romanesque qui aurait sa source dans une soif de savoir, un désir de connaître  ? Sachant que connaître intellectuellement et connaître sexuellement vont de pair, voici donc un roman qui ne se contentera pas d’être lui-même mais prendra parti par rapport au réel, l’affrontera dans sa version déchirante comme dans sa version jubilatoire. Il puisera dans la vie comme dans un matériau pour l’écriture. D’où ce roman kaléidoscopique, découpé en chapitres alertes correspondant à autant de libres variations sur le thème de la rencontre, de l’échange, mais aussi sur la part de fantastique que contient la réalité, sans oublier ce qui relève du dynamisme du néant.
« Warum ? », « Pourquoi ? » était la question que ne cessait de poser Karin, une jeune étudiante allemande que le narrateur a connue à Hanovre quand elle travaillait à une thèse sur l’évolution du roman. « Pourquoi le roman change-t-il ? Et en quoi change-t-il ? Et pourquoi ne sait-on jamais sur quoi il va changer ?… Ni pour quelles raisons… ni dans quel sens… » Ce livre est une réponse différée à toutes ces interrogations sur la nature du roman. Le roman est quelque chose de mobile, de mouvant, qui se transforme en même temps qu’il se déroule. Il est le sexe, dit Pierre Bourgeade, il est un acte sexuel, il est la guerre « entre le désir et la mémoire, entre l’écriture et le temps ». Il est à l’image de ce que Warum nous donne à lire à travers les tribulations d’un voyage entrepris par le narrateur pour retrouver Eva, une Suédoise qu’il a connue à Paris et qui, après l’avoir laissée dix-huit ans sans nouvelles, lui propose de venir la voir à Stockholm où elle vit. Un voyage qu’il décide de faire en voiture, ce qui lui permettra de passer par Hanovre.
Ce voyage dans l’espace va se doubler d’un voyage au cœur de sa mémoire. Au fil d’un jeu subtil de coïncidences et de digressions – où chaque détail, chaque notation, chaque vignette s’avérera être la pièce d’un vaste puzzle – il va revisiter, revivre souvenirs et nostalgies, expériences et fantasmes. On va ainsi se retrouver à Porto Rico, à New York, en Italie, au Kenya, en Picardie… On va, on vient au gré d’une sorte de rythme amoureux et sexuel qui mime aussi l’aller venir de la réminiscence et de l’oubli.
Chaque lieu est associé à une femme ou à des histoires d’amour qui finissent généralement mal. On y croise une amie américaine du narrateur, Harriet, qui fait deux voyages par an, en Afrique – « Je reste chaste six mois, puis mille hommes. Puis encore chaste six mois, puis mille hommes. » –  ; Rima, qui a couché avec beaucoup d’hommes sans jamais pouvoir inspirer une passion – « Je ne me sens pas bien si je ne suis pas touchée par des hommes, il n’y a aucune solution, un de ces jours je vais me soûler et me tuer. » –  ; Barbara, la directrice d’une des plus puissantes agences artistiques de la côte Est des États-Unis, qui va se marier pour la sixième fois et qui attire toujours «  les mâles »  ; La Cipriatti, célèbre animatrice de Canale Oscuro, qui présente le journal de minuit « nue comme la main car la beauté seule peut nous consoler des désastres du monde »  ; Marta Rimini, surnommée Lolota, 1,35 m de tour de poitrine pour 1,52 m de taille, qui a joué trois fois dans des films de Fellini. On y découvre le destin d’une religieuse du nord de la France, enlevée par un prêtre qui finira par la dévorer. On assiste à une corrida entre un taureau et un condor, comme aux ébats de deux femmes avec une anguille. Les histoires se croisent, rebondissent les unes sur les autres. La dépense, l’excès, l’incongru, les joies brûlantes de la chair, le vertige froid de la pornographie, la mécanique des comportements humains mais aussi – à travers les aventures d’un vieux journaliste romain, et celle du narrateur toujours avide de sexe – la quête des derniers plaisirs que la chair vieillissante et défaillante peut encore offrir avant l’effondrement dans le rien. Tous ces thèmes Pierre Bourgeade (1927-2009) les développe au fil d’une prose souple, efficace, claire, nette, épurée, conjuguant vitesse, changement de rythme et fluidité. Débarrassée des complications de la morale et de la rhétorique, son écriture relève de cet art supérieur qui consiste à dire simplement. Warum, ou le livre d’un homme qui a jeté toute sa jeunesse, tout son désir, toute sa force dans un roman total et une pratique érotisée de l’écriture parce qu’il sait que la nature de son roman, c’est la survie.

Richard Blin

Warum, de Pierre Bourgeade
Tristram, 256 pages, 19,90

La nature du roman Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°210 , février 2020.
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