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Domaine français Que pèse un âne mort ?

février 2020 | Le Matricule des Anges n°210 | par Éric Dussert

Fuite d’un trio de quadragénaires en plein désarroi vers la Kabylie. Que faire de sa vie dans une Algérie sans avenir — et avec un baudet dans le coffre ?

La littérature n’a jamais négligé l’âne. Comme le rappelle Chawki Amari au cœur de son roman L’Âne mort qui reparaît aux éditions de l’Observatoire après avoir connu son édition princeps en 2018 à Alger sous la marque des éditions Barzakh – également éditrices de Mustapha Benfodil (Lmda N°208) – le quadrupède a beaucoup à nous dire. Par le passé, l’ont mis en valeur Charles Perrault (Peau d’âne), Carlo Collodi (Pinocchio), Henri Bosco (L’Âne Culotte), Victor Hugo (dialogue d’un âne avec Kant), mais aussi Tahar Ouettar (Noces de mulet) et Jules Janin avec L’Âne mort et la femme guillotinée, un titre qui conviendrait presque au récit d’Amari. À ceci près que les sept femmes du libraire Barbe-bleu qui y résident n’ont probablement pas été décapitées… Mais ça n’est pas cet aspect du livre qui retient, ce serait même son point faible. L’Âne mort, du journaliste et géologue Chawki Amari (né en 1964) est surtout un étonnant état des lieux de l’Algérie telle qu’elle se pense et telle qu’elle se vit : en panne, rigidifiée, sans perspectives.
La magnifique couverture du roman représente les monts du Djurdjura, la destination de trois quadragénaires, deux hommes, une femme, qui se sont mis dans une situation très embarrassante. Sollicitant la bienveillance d’un potentat d’Alger, ils ont par mégarde contribué à la noyade de son âne fétiche, Zembrek. Au lieu de signaler l’accident, ils prennent la mauvaise décision, qui n’est jamais qu’une de plus dans leur existence, et embarquent l’animal dans le coffre de leur voiture, un vieux break bleu qui ne peut rouler qu’une heure d’affilée parce qu’il chauffe. Destination la Kabylie, cette province rebelle au pouvoir d’Alger où un oncle peut sortir tout le monde d’affaire. Lyès, Mounir et la belle Tissam quittent leur monde urbain et s’engagent dans le désert puis grimpe en montagne de village en village isolé jusqu’à la retraite d’un libraire-pizzaïolo à la fois philosophe et malsain.
Comédien, caricaturiste, chroniqueur d’El Watan – Plantu avait pris sa défense en 2006 lorsque le pouvoir algérien lui cherchait de nouveau des crosses (il avait fait déjà de la prison en 1996 pour avoir représenté le drapeau algérien sali) –, Chawki Amari a déjà publié de nombreuses fictions, parmi lesquelles Le Faiseur de trous, De bonnes nouvelles d’Algérie et Après-demain. Il signe avec cet Âne mort un très bel hommage à Afulay de M’Daourouch, aussi nommé Apulée de Madaure, concitoyen de l’époque romaine, premier romancier d’Algérie à coup sûr et principal tenant du fantastique maghrébin de l’Antiquité avec ses Métamorphoses ou L’Âne d’or. La fable contemporaine que baignent un petit peu l’amour et la sensualité voit l’âne se transformer en vieil homme et finalement rester un bon âne vivant, rendant à « l’étrangeté » (Nabile Farès) de la région ses traditions, superstitions, voyances et mystères comme si une nouvelle Invention du désert (Seuil, 1987) de Tahar Djaout retournait aux Anciens et à leur science du monde.
Que pèse un âne mort ? interroge Amari. Et que pèse donc l’univers ? La seule réalité palpable dans laquelle il entraîne ses personnages nous vaut dans le même mouvement des moments délicieux et des points de vue sur la haine et la violence. Tandis que Slim, un jeune vendeur d’animaux, s’occupe en projetant de lourds rochers dans la vallée, anti-Sisyphe plein de haine, les trois personnages centraux sont eux les vecteurs d’interrogations sur la destinée – et d’un humour qui paraît typiquement algérien, très sobre, sans aucun effet brillant ou claquant mais un humour parfaitement désespéré qui noue l’estomac. Témoigne Amel 4G, surnommée ainsi parce qu’elle est toujours trop rapide pour trouver un nouveau moyen stupide de s’enrichir, témoigne encore ce portrait de serveur qui plante l’ambiance générale : « Le serveur, lourd comme un soleil mort ou une étoile naine en fin de cycle, est debout dans la position de la stèle commémorative en l’honneur des millions de gens qui sont morts de soif dans un café en attendant leur consommation. Il n’est même pas désolé. » Après lecture, on ne l’est pas non plus. On recommande plutôt le livre, et avec enthousiasme. Éric Dussert

L’Âne mort, de Chawki Amari
Éditions de l’Observatoire, 176 p., 18

Que pèse un âne mort ? Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°210 , février 2020.
LMDA papier n°210
6,50 
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