Elles sont folles les villes. Elles te happent, t’empastèguent ! Si la Méditerranée a inventé la tragédie, Marseille a le génie de la camoufler derrière la bonhomie, la verve, la galéjade, l’hypertrophie… Stéréotypes populaires agaçants pour certains, pas pour ses minots. Enfant des rues, René Frégni en a reçu la lumière, la grâce, la force lui permettant de célébrer la beauté du monde. Lorsque son éditeur lui propose de pousser un cri (aux côtés d’Erri de Luca, Pierre Bergounioux ou Danièle Sallenave dans la nouvelle collection « Tracts »), Frégni se remémore tous ceux proférés contre l’injustice depuis que sa mère lui a lu Le Comte de Monte-Cristo. Son père a connu la prison sous l’occupation allemande. Lui, pour désertion, a fait six mois de trou. Sous la houlette d’un objecteur de conscience, il découvre la lecture. « Mon enfance fut peuplée de vols, de révolte, de petits mensonges et de solitude. Ma vie, dès ce cachot, fut peuplée de mots, de sentiments, d’espoir. Sous chaque mot se cachait une émotion. » Bouleversé par la photo du Che criblé de balles, il déserte, avec de faux papiers, parcourt le monde. À 39 ans, il publie un premier ouvrage où il évoque la prison militaire. On lui suggère d’animer des ateliers d’écriture dans les geôles de Marseille. « Je crois que toute la littérature est là. Elle nous permet de retrouver ou de découvrir les régions les plus écartées, les plus ténébreuses de nous-mêmes. » Aujourd’hui, il y a vingt-cinq ans qu’il délivre avec des mots et de l’amour… un cri authentique. Magnifique.
Dominique Aussenac
Carnets de prison ou L’oubli des rivières, de René Frégni
Tracts Gallimard N°11,
48 pages, 3,90 €
Domaine français Carnets de prison ou L’oubli des rivières
mars 2020 | Le Matricule des Anges n°211
| par
Dominique Aussenac
Un livre
Le Matricule des Anges n°211
, mars 2020.