De ses origines paysannes, l’auteur suisse italien Giovanni Orelli (1928-2016) a gardé un attachement au terroir et la matière qui irrigue ses nouvelles. Romancier, critique littéraire, traducteur de poésies latines, françaises et anglaises dans son dialecte du Val Bedretto, il a toujours mêlé son existence à ses écrits. Ainsi, « Les Myrtilles du Moléson », qui ouvre ce recueil, raconte un épisode bucolique de 1943. Deux adolescents pris de passion échappent un instant aux religieuses supposées les encadrer lors d’une sortie sur les pentes du Moléson, une montagne des Alpes fribourgeoises. Des années plus tard, alors qu’il est déjà octogénaire, le narrateur retrouve la nymphe indisciplinée. Ensemble, ils se souviennent de cette escapade romantique. Pascal, Dante, Virgile accompagnent ce récit. Des références érudites tranchent avec la candeur supposée des deux jeunes gens. Sans cesse, Giovanni Orelli crée une distorsion entre le fond et la forme, entre le sujet et la langue. Des inserts culturels fondus dans le récit rendent le texte polysémique et joueur : « Le mot iniquité, nequizia en italien, me fait penser à liquirizia, la réglisse ». Même la phonétique a voix au chapitre : « Moi, je ne sais pas si j’étais une vélaire, je sais que j’étais une schiacciata écrasée ». Le fait religieux est aussi omniprésent. La religion catholique sert de guide et interroge le monde : Saint-Augustin côtoie les mystiques. Tous ces contes sont des merveilles d’équilibre. Des phrases serpentines s’appuient sur des formules lapidaires, et tout fait sens : « Un atome d’histoire pleurait ».
Jamais élitiste, Orelli veille toujours à montrer comment ses personnages s’enrichissent au contact des découvertes les plus pointues. Dans « Le Cinéma et les tantes », deux femmes devisent sur Kafka, Gide et Les Temps modernes de Chaplin. « Carnaval comme en Chaldée » montre des animaux qui se transforment en hommes, comme dans les récits mythiques. « Le Veau gras » fait parler un jeune bœuf, son compagnon maigre et une génisse. Les citations latines y fleurissent, comme un discret hommage aux pages des dictionnaires. Volontiers moqueur et taquin, l’écrivain qui connaît bien l’enseignement, la ruralité et ses compatriotes s’amuse de ses concitoyens dans « L’Enlèvement des Sabines ». Des Suisses, qu’il présente comme des néo-Romains, se rendent dans la capitale italienne pour un colloque de linguistique. Autant d’occasions pour lui d’établir des ponts insolites entre les communautés et les époques. Enfin, Giovanni Orelli, qui a été professeur, n’oublie pas ses premières amours. « Alphabet » lui permet de rédiger une poésie en n’utilisant que 14 des 21 lettres de l’alphabet traditionnel italien. « Eh si on allait à l’équole » évoque tour à tour un maître, la genèse, Pindare, en une nouvelle vive et polyglotte. Au bout du compte, des textes espiègles qui résument la philosophie d’un homme qui a tout entier vécu pour les Lettres.
Franck Manonni
Les Myrtilles du Moléson, de Giovanni Orelli
Traduit de l’italien par Renato Weber, La Baconnière, 220 pages, 20 €
Domaine étranger En toutes lettres
mars 2020 | Le Matricule des Anges n°211
| par
Franck Mannoni
Publiées alors qu’il avait 86 ans, les nouvelles espiègles du Suisse Giovanni Orelli pétillent de langues italienne, française et latine.
Un livre
En toutes lettres
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°211
, mars 2020.