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Égarés, oubliés Madeleine, pleine de grâce

juin 2020 | Le Matricule des Anges n°214 | par Éric Dussert

Pédagogue engagée, Madeleine Barthes a consigné dans une paire de carnets quelques souvenirs et sensations.

Les Saisons secrètes

Avec un prénom tellement proustien et un patronyme qui n’est pas sans rappeler telle éminente figure, Madeleine Barthes va prendre naturellement sa place dans la bibliographie du siècle dernier. Elle se rangera d’elle-même dans la catégorie des simples et des discrets, aux côtés d’Estella Canzani, par exemple, parmi tous ces écrivains qui naissent sans l’être et le deviennent par hasard, parce qu’un cahot du chemin leur a mis un crayon dans les mains. Madeleine Barthes aurait du reste pu ne jamais le devenir, écrivain. Elle écrivait, voilà tout, et rien n’annonçait que la pitié filiale et de solides amitiés allaient conduire une poignée de pages de ses carnets longtemps usés chez un rotativiste.
Elle était née à Toulouse en 1924 et consacra toute sa vie à la pédagogie. Fille de cheminot, elle appartient à cette génération qui eut 20 ans en 1944, connut une adolescence riche mais compliquée. Sitôt la guerre close, elle entama sa carrière de professeure. D’histoire et de français d’abord, pour les jeunes filles d’une institution nommée Le Refuge, puis dans des environnements plus exigeants comme l’École normale nationale d’apprentissage de Toulouse. Les scolarités difficiles attiraient sa vocation et son engagement, à une époque où l’émancipation par l’éducation avait du sens, où l’on savait pertinemment que la démocratie et l’individu libre ne se concevaient pas sans une institution pédagogique solide, dispensatrice de la manne libératrice, parmi laquelle « les poèmes égrenés dans la classe vieille/ à la lumière verte des grands arbres/ dans ce château désaffecté aux murs qui se lézardent/ le grand bouquet de fleurs séchées/ et leur odeur de paille ».
Militante syndicale et antifasciste, curieuse, lectrice conséquente, Madeleine Barthes écrivait aussi souvent, sans jamais laisser entendre qu’elle avait à dire. C’est presque par hasard, par transmission que son mari, veuf en 1977, communiqua à ses filles ses carnets que l’on est tenté de nommer « secrets ». Et pourtant rien d’obscur chez Madeleine Barthes, tout au contraire : ce sont deux carnets et quelques feuilles volantes, apparemment rédigés dans les années 1960-1970. Elle y posa, pour ne pas les perdre sans doute, des portraits et des dates, des moments fugaces qui persistaient à son esprit, tissant une courte biographie sentimentale et intellectuelle : « ma grand-mère qui ne savait pas écrire/ qui avait filé la laine sur le Casse/ aux yeux bleus, très clairs/ qui lisait des romans d’amour/ qui tirait la monnaie précautionneusement/ de la poche de son tablier de satinette noire/ sa petite broche en or – ses boucles d’oreilles – seul trésor.  »
Étrange sensation que d’entrer dans les pensées d’une proche qui ne manifestait aucun intérêt pour la publication, n’y songeait guère, se lançait simplement, pour elle-même assurément, dans une manipulation d’entomologiste sur souvenirs prégnants, ne retenant que les plus saillants, les plus rutilants ou puissants que les autres. Il y a, à cette lecture, toutes les raisons de se rappeler l’Anthologie de la poésie naturelle (K éditeur, 1949) de Camille Bryen et Bernard Gheerbrant où avaient été liés en une curieuse botte les écrits bruts de décoffrage de Damouré Zika (depuis réédité dans son Journal de route, Mille et une nuits, 2007), d’Achille Fournier ou d’Auguste Boncors.
Pas de préméditation, on trouve dans les rapides pages de Madeleine Barthes la somme de sensations passées au crible indispensable du langage, à la va-comme-ça-vient, sans chichi – et c’est bien le moment, tandis que le monde éditorial se roule par terre en implorant la nouvelle quoique sempiternelle « crise du livre » de l’épargner, de constater que le simple jaillissement d’une nature lumineuse est souvent doté de plus de vertus littéraires que la plus intelligente tentative de professionnels des lettres. Paradoxe dont ces derniers ne se remettront jamais, tandis que Lautréamont, Boncors et Cingria jubilent – on les entend d’ici. Près d’eux Madeleine Barthes, modeste et sobre, occupée à noter les objets qui l’ont frappée, comme cette « grue qui tourne, grince dans le ciel gris du matin/ pendant ce temps dans les forêts le brouillard ténu/ coule goutte à goutte/ sur le tronc noir des arbres endormis ».
Ainsi que le relève Max de Carvalho, qui signe la quatrième de couverture du livre inouï car sauvé des eaux, le Latin Lucrèce avait écrit déjà « Accidere ex una scintilla incendia passim ». Et, en effet, les grands incendies naissent d’une simple étincelle. Puissent les rares mots de Madeleine Barthes fleurir en une superbe démonstration de l’implacable dignité du jeté.

Éric Dussert

Les Saisons secrètes, de Madeleine Barthes
suivi de « Une maison d’écriture » de Nicole Capgras
Fario, 112 pages, 13,50

Madeleine, pleine de grâce Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°214 , juin 2020.
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