Deux nouvelles pièces de Jon Fosse, c’est une plongée lente vers ce qui nous dépasse, ce vers quoi nous sommes tendus et qui nous reste pourtant inaccessible. Dans Jeune fille sur un canapé, trois grands tableaux inachevés plantent le décor. L’un d’eux est une peinture que La Femme est en train de réaliser d’elle, bien plus jeune, assise sur un canapé. Un dialogue va naître avec son double. Le passé et le présent ne vont cesser de se mélanger. Dans le présent, la mère est en train de mourir. Se rejouent alors sans cesse certaines séquences du passé, comme autant de blessures qui n’arrivent pas à cicatriser : l’absence du père, l’amant de la mère, la jalousie entre sœurs, le manque d’amour maternel… La parole tourne en boucle, puis s’arrête, le texte est structuré par des retours à la ligne fréquents remplaçant toute autre ponctuation. Les personnages ont des difficultés à trouver leurs mots, à finir leurs phrases, le silence agence les échanges, qui sont le plus souvent des réflexions avec soi-même. Tout cela crée un immense sentiment de solitude et de peur, comme une incapacité face à la vie. La Femme parlant d’elle-même explique : « Je suis à un endroit/ où personne d’autre n’est/ Où il n’y a personne/ Où même moi/ je ne suis pas ». La peinture devient alors la métaphore de la quête : « Ceux qui savent peindre/ ils peignent/ oui l’invisible/ qui est la vie/ ils peignent la vie/ là où elle disparaît/ et où elle apparaît » alors que la femme constate : « Tous les tableaux que j’ai peints/ Comme ils sont lourds/ Lourds de peinture/ Je n’arrive même pas à les déplacer/ Ils ne sont que poids ».
La seconde pièce, Ces yeux, est très musicale. La Première Voix, La Deuxième Voix et L’Ombre accueillent La Femme Âgée et L’Homme Âgé qui dialoguent ensemble et avec leurs doubles plus jeunes. Des phrases tournent en boucle, questionnant le mystère de notre apparition et de notre disparition. L’ invisible côtoie le visible, la mort accompagne la vie. Cette pièce est comme un chant, avec les éléments très présents, la mer, le ciel, la montagne, la terre et son pourrissement, et notre temps humain si bref.
Laurence Cazaux
Jeune fille sur un canapé / Ces yeux,
de Jon Fosse
Traduit du néo-norvégien par Marianne Ségol-Samoy,
L’Arche, 160 pages, 16 €
Théâtre Voix hantées
septembre 2020 | Le Matricule des Anges n°216
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Voix hantées
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°216
, septembre 2020.