Si La Part du Sarrasin peut se lire indépendamment de Ma part de Gaulois, chronique autofictionnelle du début des années 80, le nouveau livre de Magyd Cherfi en est toutefois la suite logique. Cette fois encore, l’ex-parolier du groupe toulousain Zebda tente de raconter sa trajectoire personnelle à travers différentes aventures collectives : celles des associations de quartier au pied des cités, du mouvement beur naissant, de son groupe de musique, des amitiés indéfectibles… C’est donc un autoportrait à facettes multiples. Raconter, pour le truculent Madge, l’alias de Cherfi, c’est écrire une langue bel et bien vivante, toute d’effervescence. Ce qui frappe plus que jamais dans cet opus, c’est la nature de la parole : « geyser », « passage à tabac verbal », « salves de gros calibres », « rafales ». Ici on tchatche, on ferraille, ou alors on déblatère, on « tronçonne ». L’invective se fait inventive, la ponctuation, gouailleuse ; et la grammaire, dans la bouche des uns ou des autres, contorsionniste. Porteuse de vie(s), la langue de Cherfi dit la difficulté de trouver sa place pour une génération de Beurs, tiraillée entre des injonctions sans cesse contradictoires. On ne compte plus les mots problématiques auxquels le terme « identitaire(s) » est accolé : « entraves », « turpitudes », « schizophrénie », etc. Toujours cette question de l’assignation aux origines, à « une éternité indigène », alors que lui, Cherfi, se voudrait frenchy, avec Flaubert et Ferré en grands-oncles. S’il se montre souvent « escagassé par sa double identité » dans cette France mitterrandienne qui voit la montée du Front national, c’est, chemin faisant, pour en faire un atout dans son jeu. Sa réponse à l’ethnicisation des comportements et de la politique sera celle d’une affirmation toute personnelle (artistique, amoureuse), qu’il finira pas assumer pleinement, celle d’un homme qui dit : je suis comme je suis, qui m’aime me suive. Sur scène, dans la vie et, désormais, dans les livres.
Anthony Dufraisse
La Part du sarrasin
Magyd Cherfi
Actes Sud, 428 pages, 22 €
Domaine français
septembre 2020 | Le Matricule des Anges n°216
| par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°216
, septembre 2020.