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Domaine étranger Vivante Deborah Levy

septembre 2020 | Le Matricule des Anges n°216 | par Camille Cloarec

En deux opus, les mémoires de l’écrivaine britannique sont une mine d’humour angoissé, d’anecdotes incandescentes, de résistance féministe.

Ce que je ne veux pas savoir

Le Coût de la vie

Ce que je ne veux pas savoir, premier volet de la trilogie autobiographique de Deborah Levy, romancière, dramaturge et poète, s’ouvre sur un constat désespéré. « Ce printemps-là, alors que ma vie était très compliquée, que je me rebellais contre mon sort et que je ne voyais tout bonnement pas vers quoi tendre, ce fut, semblait-il, sur les escalators de gares que je pleurais le plus souvent ». Elle en entame la rédaction peu après son divorce, dans la cabane de jardin d’une amie nonagénaire, alors que les vingt dernières années de sa vie familiale viennent de voler en éclats. Les premières pages nous transportent à Johannesburg, sa ville natale, à l’époque de l’apartheid. Son père, militant au sein de l’African National Congress, est emprisonné quatre ans durant. Le profond traumatisme qui se creuse autour de son absence la rend pour ainsi dire muette. Elle est alors confiée aux bons soins d’une marraine raciste et colonialiste, à Durban, dans une vaste maison aux antipodes de la sienne. C’est là que l’autrice commence à s’exprimer par écrit, amorçant sans doute le cheminement qui sera désormais le sien : « pour devenir écrivaine j’avais dû apprendre à interrompre, à parler haut, à parler fort, puis bien plus fort, et à revenir simplement à ma propre voix qui ne porte que très peu ».
Ce n’est qu’à 9 ans, alors que son père vient d’être libéré, que Deborah Levy découvre l’existence de l’Angleterre. Sa famille y déménage, puis ses parents se séparent. Ce nouveau pays, qui est pourtant celui de ses racines, lui apparaît dans toute son étrangeté. Quant à celui qui l’a vue naître, elle n’en entendra plus jamais parler. Impossible, dès lors, de se défaire de ce questionnement identitaire complexe.
Dans Le Coût de la vie, le deuxième tome, nous découvrons l’écrivaine jeune cinquantenaire, fraîchement larguée dans la nature après deux décennies englouties dans un foyer duquel il ne reste que deux adolescentes. La voilà qui mène tous les combats de front : trouver un lieu de vie et de travail, regagner une indépendance financière et affective, reprendre sa vie en main. Objectifs bien loin d’être faciles : « J’étais une e-matriarche dans une réalité patriarcale. La vie était dure et je n’avais pas de scénario ». Le récit qu’elle en fait vogue d’anecdotes en anecdotes, s’attardant sur des détails infimes et rassurants, se nourrissant d’instants banals et puissants. Peu à peu, elle comprend qu’au fond elle prend goût à sa liberté retrouvée. Elle se découvre créative au sein du chaos, efficace devant les obstacles et indépendante face au quotidien en général. Pour rien au monde elle ne rejoindrait le « vaisseau » du mariage qu’elle a quitté. Cette métaphore du naufrage qui traverse l’ensemble de l’ouvrage se mue progressivement en quelque chose de providentiel. « Si nous ne croyons pas à l’avenir que nous planifions, à la maison que nous payons avec un emprunt, à la personne qui dort à nos côtés, alors peut-être qu’une tempête (longtemps tapie dans les nuages) pourrait nous rapprocher de ce que nous voulons être au monde. »
Les histoires que nous raconte Deborah Levy renferment chacune une petite pépite, un noyau dur qui questionne les certitudes sur lesquelles repose notre société. Les titres de ses chapitres reflètent ces éclats instantanés. « Vivre dans du jaune », qui évoque la nouvelle peinture de sa chambre, synthétise l’autonomie grisante dans laquelle elle se jette. « Le X indique où je suis », inspiré d’une lettre envoyée par sa mère, symbolise à lui seul l’absence de repère géographique dans laquelle elle a depuis toujours baigné. Qu’il s’agisse de l’irréductibilité prétendue des cellules familiales, des injonctions multiples qui reposent sur les épaules de n’importe quelle femme ou encore de la difficulté parfois insurmontable de s’exprimer – l’autrice les interroge intimement, avec humilité, ponctuant ses réflexions de citations de Maggie Nelson, d’Annie Ernaux ou encore d’Adrienne Rich. Celles-ci, en habitant son autobiographie, semblent accompagner ses luttes, ses angoisses et ses incertitudes.
En posant un regard critique et littéraire sur la maternité (« Devenues mères, nous n’étions plus que l’ombre de nous-mêmes, pourchassées par celles que nous avions été avant d’enfanter »), la toute-puissance de notre culture patriarcale et son propre itinéraire en prise aux réalités contemporaines, Deborah Levy nous offre bien plus que de simples mémoires. Elle nous transmet sa force, sa combativité et sa poésie, qui pourraient à elles seules résumer son parcours. Puisque « déployer des idées à travers toutes les dimensions du temps est la grande aventure d’une vie passée à écrire. »

Camille Cloarec

Ce que je ne veux pas savoir et Le Coût de la vie
Deborah Levy
Traduits de l’anglais par Céline Leroy
Éditions du sous-sol, 144 et 160 pages, 16,50 chaque

Vivante Deborah Levy Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°216 , septembre 2020.
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