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Domaine français Dans le ventre de la Cité

octobre 2020 | Le Matricule des Anges n°217 | par Camille Cloarec

après le très remarqué Désorientale, Négar Djavadi nous revient avec un thriller urbain Percutant.

Arène s’inscrit dans le quartier parisien de la Cité Rouge, entre misère, trafics de drogue et règlements de comptes. Ici, on est bien loin des arrondissements luxueux qui rendent si célèbre la capitale. Pas de touristes qui traînent dans les rues, plutôt des « tunnels de contrariétés et de violences » que les habitants traversent au quotidien. Des générations d’immigrés, d’ouvriers et de sans-papiers s’y sont frottées, à sa saleté, à sa densité et à sa pauvreté. Parfois, et c’est rare, l’un d’entre eux parvient à en sortir. C’est le cas de Benjamin Grossmann, 35 ans, fraîchement nommé responsable du développement de la branche française de BeCurrent. Cette dernière, une écrasante plateforme de divertissement américaine qui n’est pas sans rappeler Netflix, déverse « sur l’humanité des torrents d’histoires, des avalanches d’émotions, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, avec une générosité et une efficacité qu’aucun prêcheur, imam, rabbin, gourou, homme politique n’est capable d’égaler ». Fils d’un régisseur alcoolique et d’une mère monteuse, Grossmann a baigné dans le cinéma d’auteur depuis son plus jeune âge avant de le trahir. Le voilà, après des années de dur labeur acharné, une expatriation aux États-Unis et un renoncement pour ainsi dire total à toute forme de vie privée, au sommet de sa carrière.
Lors d’une de ses rares visites à sa mère, dans son quartier natal, il se fait voler son téléphone portable, lequel contient toute sa vie professionnelle. Et c’est à partir de ce simple incident, banal en apparence, que jaillit toute l’intrigue d’Arène – bouillonnante, frénétique, complexe. Car Benjamin Grossmann est prêt à tout pour récupérer ce qui lui appartient, y compris s’en prendre aveuglément à la mauvaise personne. Un adolescent qui, le lendemain, est retrouvé mort par une policière… Policière qui, excédée par ses conditions de travail dégradantes et le machisme outré de ses collègues, « dont l’origine se situe dans la grotte préhistorique de leur cerveau, là où, depuis qu’une côte d’Adam a servi à créer Ève, tout un tas de croyances imbéciles se sont fossilisées », donne un coup de pied dans ce qu’elle ignore être un cadavre… Coup de pied qui, par malchance, est filmé et aussitôt partagé sur les réseaux sociaux par une adolescente de la cité, provoquant une déferlante de révolte.
On l’aura compris : le deuxième roman de Négar Djavadi met les pieds dans le plat. Les débats houleux qui divisent notre pays (les violences policières, le racisme ambiant, la névrose politico-médiatique) s’entrechoquent violemment. À la manière d’un engrenage implacable, d’une mélodie qui s’emballe ou d’un malade qui perd pied, le récit déroule ses quatre parties – prélude, moderato, crescendo, furioso. Le rythme même de l’écriture, fiévreux, enragé, fait se succéder personnages et rebondissements de manière effrénée. Notre société où tout se vit dans l’instant, guidée par le pouvoir grisant et illusoire des images, est disséquée. La perpétuelle « masse d’informations qui circule », les « hypermarchés de la fiction » qui nourrissent les esprits, le culte obsessif de la performance forment une toile de fond plus que réaliste.
Si Désorientale mêlait avec originalité exil, cinéma et désir de maternité sur fond d’introspection, le nouveau roman de Négar Djavadi se frotte à une fiction réaliste, polyphonique, à la portée ambitieuse. Ancré dans l’infinie complexité d’une population multiculturelle et raciste sur le point d’imploser, le roman ne fait aucun compromis, ne prend aucun raccourci. Et c’était loin d’être évident, tant le sujet est épineux. À l’image de Stéphane Jahanguir Sharif, figure controversée pétrie de contradictions, père de famille respectable accro à ses doses, porte-parole des musulmans et fervent détracteur des féministes. En dépit des combats sociaux qu’il mène, il semble saturé de rage. Une rage qui prend corps très tôt, au creux de son enfance, quand son père l’a abandonné pour rentrer au Pakistan. Car derrière les drames crasseux qui se jouent dans l’Est parisien, se dessinent de monumentales frustrations et des abîmes béants. En se glissant dans l’intimité de ses protagonistes, Négar Djavadi nous livre une peinture tout en tensions et en nuances d’un monde urbain blafard, d’une France à bout de souffle. Une mosaïque glaçante, qui célèbre un Paris cru, féroce, des griffes duquel on aimerait pouvoir s’échapper. Tout comme Stéphane Jahanguir Sharif, qui continue à y vivre mais « n’a pas plus d’amour pour cette ville qu’un animal pour la jungle qui l’a vu naître. C’est son écosystème et ça s’arrête là ».

Camille Cloarec

Arène
Négar Djavadi
Liana Levi, 432 pages, 22

Dans le ventre de la Cité Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°217 , octobre 2020.
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