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Essais Propriété artistique

juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254 | par Valérie Nigdélian

Dans des pages d’une brûlante actualité, Bénédicte Savoy interroge la question de l’appartenance des œuvres d’art et les enjeux de leur restitution.

À qui appartient la beauté ?

Signes d’une nouvelle ère et d’un décentrement du regard ? Le 10 novembre 2021, 26 œuvres issues des trésors royaux d’Abomey, pillés en 1892 lors d’une expédition militaire française sanglante, étaient de retour sur le sol africain, rendues à la République béninoise. À Nanterre, depuis 2022, on peut suivre la première formation universitaire consacrée à la « recherche de provenances des œuvres d’art », les besoins en ce domaine s’avérant énormes quand on estime que 90 % de son patrimoine artistique et culturel se trouverait en dehors du continent africain. En février 2024, la cinéaste franco-sénégalaise Mati Diop obtenait l’Ours d’or au Festival de Berlin pour son documentaire Dahomey, sur l’avenir des œuvres d’art confisquées en Afrique par les anciennes puissances coloniales. En France, le Sénat devrait débattre cet automne du projet de loi permettant le retour des biens culturels pris illégalement dans ce cadre. Avec l’avènement des études postcoloniales et décoloniales, les demandes croissantes de familles, communautés ou pays spoliés, la multiplication des initiatives politiques en Europe, la question de la restitution des œuvres devient centrale, augurant d’un rééquilibrage des rapports de force historiques entre Nord et Sud.
Dans ce contexte, la publication de À qui appartient la beauté ? de Bénédicte Savoy, rédactrice en 2018 avec l’écrivain et économiste sénégalais Felwine Sarr d’un Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain qui a fait grand bruit, vient à point nommé. Né des cours que Savoy a donnés au Collège de France en 2017, l’ouvrage aborde en neuf points le parcours – historique, géographique, politique, économique et symbolique – de neuf œuvres dont chacune éclaire un pan de cette très complexe notion de propriété des œuvres d’art, et de leur restitution. Au-delà de l’histoire coloniale mondiale et des guerres de conquête, l’ouvrage élargit la focale pour envisager les « translocations patrimoniales », soit « tous les types d’appropriations d’œuvres d’art et du patrimoine au détriment du plus faible, économiquement ou militairement ». Savoy aborde donc aussi les spoliations nazies (le Portrait d’Adele Bloch-Bauer de Klimt), les transferts archéologiques (le buste de Néfertiti, l’Autel de Pergame), le rôle du marché de l’art. Déroule les logiques multiples (militaire, politique, scientifique, culturelle) qui, associées à un rapport de domination, conduisent en un même lieu : le musée, dédié à la conservation du patrimoine, dont elle interroge la prétention à l’universalité.
Car le malaise ne date pas d’hier ni des Indépendances. Dès la fin du XVIIIe siècle, des voix s’élèvent face aux « transferts massifs de biens culturels et la violence réelle et symbolique qui les sous-tend », révélateurs des « blessures patrimoniales que l’Europe s’est aussi et longtemps infligées à elle-même »  : Quatremère de Quincy conspue la politique de conquêtes artistiques du Directoire en Italie, Lord Byron s’indigne du transfert des frises du Parthénon d’Athènes vers « l’abominable climat nordique de l’Angleterre », Hugo dénonce le sac du Palais d’été de Pékin perpétré par l’armée française. Sur quelles horreurs et quels méfaits les musées européens ont-ils bâti leur suprématie culturelle et leur renommée, les États affirmé leur grandeur nationale ? Par quelle étrange torsion la dépossession des uns a-t-elle fait le rayonnement des autres ? Par quelle justification l’Europe s’est-elle constamment affirmée (et s’affirme-t-elle encore par de nombreuses voix) comme étant « mieux armée que quiconque » pour conserver les œuvres, persuadée de « détenir le savoir, les techniques, les finances et les musées capables d’accueillir et de comprendre les vestiges antiques », allant même jusqu’à s’agacer des « efforts des pays “fouillés” pour encadrer la présence d’archéologues étrangers sur leur territoire »  ?
Dans ce débat qui pourrait paraître binaire (propriétaires vs possesseurs), une troisième dimension vient barrer les réponses toutes faites : le temps. Car, par leur plasticité, les œuvres « se forme(nt) et se déforme(nt) tout en encapsulant la mémoire du passé, autant de strates qui font désormais partie de l’œuvre comme elles font partie de l’histoire européenne ». Alors, à qui appartient la beauté ? À chaque chapitre cette question fait retour : à ceux qui savent la reconnaître et l’apprécier ? à ceux qui savent la préserver ? à ceux qui l’ont découverte ? aux peuples à qui on l’a arrachée ? aux peuples qui ont grandi avec elle et l’ont intégrée à leur propre patrimoine culturel ? Les cartes qui illustrent l’ouvrage permettent de visualiser les tribulations des œuvres au fil des siècles et donnent une assise indispensable à la réflexion.

Valérie Nigdélian

À qui appartient la beauté ?
Bénédicte Savoy
Avec la collaboration de Jeanne Pham Tran
La Découverte, 272 p., 22 

Propriété artistique Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°254 , juin 2024.
LMDA papier n°254
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