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Domaine français Vies, mode d’emploi

février 2021 | Le Matricule des Anges n°220 | par Anthony Dufraisse

Peut-être trop psychologisant, le nouveau roman de Céline Curiol, Les Lois de l’ascension, raconte la tentation de l’engagement.

Les Lois de l’ascension

Quelque 850 pages… Voilà un très gros roman ; mais est-ce un grand roman ? La question se pose toujours devant un ouvrage qui en impose physiquement, disons. L’impressionnante pagination laisse d’emblée deviner l’ambition qui anime Céline Curiol : embrasser toute une époque à travers six personnages principaux, trois hommes et trois femmes, repris en alternance sur quelques journées de l’année 2015. Raconter, oui, tout un monde, ce monde globalisé dont nous sommes, chacun à notre manière, la caisse de résonance. Il y avait les vies minuscules de Pierre Michon, voilà les vies-particules, éléments d’un grand tout, de Céline Curiol. Ses protagonistes sont des prismes : que le lecteur se place du point de vue des sœurs Orna et Sélène, de Pavel le psy expérimenté mais las, de Modé le travailleur social d’origine sénégalaise, de Hope la magasinière dans un entrepôt ou de Medhi le lycéen déboussolé, la dynamique narrative à l’œuvre se veut constamment réflexive. Ces vies multiples dont Curiol organise le chassé-croisé s’inscrivent dans un même écosystème – le quartier de Belleville, à Paris –, qu’il faut voir comme le symbole d’un Occident multiculturel. Les personnages regardent plus ou moins en face les réalités du monde – individualisme, consumérisme, terrorisme, enjeu écologique… – les travailler au cœur et au corps. Ces existences croisées, ces trajectoires se placent toutes sous le signe d’injonctions contradictoires. Des êtres clivés, les uns et les autres. En eux se manifestent vacillements, tiraillements, oscillations : certains s’en accommodent, d’autres ont bien plus de mal à accepter ces scissions intérieures.
Lignes de faille, qui était il y a quinze ans le titre d’un roman, également à focales multiples, de Nancy Huston, eût pu être le titre de celui-ci… Dans le titre retenu par Curiol, l’ascension doit sans doute être comprise comme une aspiration à l’élévation humaine, dont l’engagement collectif serait un possible (mais inatteignable ?) horizon dans nos sociétés sclérosées. C’est la manifestation de cette tentation, son expression persistante qui, au fond, est le personnage central du livre-somme de Curiol. « Mourir pour une idée, quoi de plus noble et brave, quoi de plus dangereux et insensé ! À moins que vivre ne consiste justement à ne pas succomber à ses idées. (C)’était la question décisive qu’il convenait de se poser. » Cette question, Céline Curiol ne cesse donc, tout au long du livre, de la poser, et trop systématiquement peut-être. Dans l’exposition des destins, les coutures sont parfois trop apparentes, surtout chez Sélène et Orna – doubles aisément identifiables de l’auteure, qui a travaillé, rappelons-le, dans les sciences de l’environnement et le journalisme, comme respectivement les deux sœurs. On sent bien que Céline Curiol cherche tout le temps à moduler les fréquences sentimentales de ses personnages, les vibrations qu’ils dégagent, mais de toute évidence la nature de la narration glisse toujours, in fine, vers l’intellect. Peut-être cet excès de cérébralité sera-t-il pesant à certains. Ce que reproche à Hope sa logeuse – « vouloir tout comprendre et expliquer » –, on pourrait le lui reprocher aussi, à Curiol. Un peu comme ce personnage, elle construit « des logiques justificatives » en toutes circonstances ou presque, quand on attendrait moins, disons, de didactisme psychologisant.
Bref, en disséquant inlassablement attitudes et pensées de ses personnages, l’auteure fait progresser sa chronique à la manière d’une expérience laborantine sur l’intime. C’est un peu les vies mode d’emploi, si on veut faire un clin d’œil à Georges Perec. Ou la version papier de Babel, le film à récits-puzzle d’Iñárritu. Malgré ses pesanteurs, Les Lois de l’ascension constitue une partition complexe, une chronique qui ressemble beaucoup à une boîte noire de notre temps. Alors il se pourrait bien, finalement, que ce soit plus qu’un gros roman : un roman important.

Anthony Dufraisse

Les Lois de l’ascension
Céline Curiol
Actes Sud, 845 pages, 25

Vies, mode d’emploi Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°220 , février 2021.
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