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Intemporels À l’heure du pikadon

juin 2021 | Le Matricule des Anges n°224 | par Didier Garcia

Avec Pluie noire, le Japonais Masuji Ibuse (1898-1993) nous ramène au cœur de l’enfer, juste après l’explosion de la première bombe atomique.

Du bombardement d’Hiroshima le 6 août 1945, l’Histoire a surtout retenu quelques chiffres, qui disent mieux que de longs discours l’ampleur de la tragédie : 62 000 bâtiments détruits sur les 90 000 que comptait la ville, 75 000 morts en quelques secondes, pour un total d’environ 250 000 victimes. Mais ce que l’Histoire a délaissé en privilégiant le collectif, ce sont les drames individuels. C’est l’un d’eux qu’Ibuse a choisi de nous présenter dans Pluie noire.
En 1950, dans le village de Kobatake, la jeune Yasuko (25 ans) peine à se trouver un mari. Non pas qu’elle manque de courtisans, au contraire. Mais selon la rumeur, elle a été touchée par la pluie noire et radioactive qui s’est abattue sur Hiroshima peu après l’explosion (une eau de pluie ayant absorbé la fumée noire du célèbre champignon). Elle est donc « atomisée », bien qu’elle ait été déclarée saine « aux examens périodiques de la santé publique ».
Afin de montrer que cette rumeur est infondée, son oncle Shigematsu décide de retranscrire le journal que sa nièce a tenu à l’époque des faits, journal auquel il ajoutera le sien (le « Journal d’un sinistré »), celui de sa femme, ainsi que la terrible confession d’un soldat touché par « la maladie atomique ». Une tâche d’autant plus nécessaire que la famille d’un nouveau prétendant demande que lui soient communiqués les faits et gestes de la jeune fille, du 6 août jusqu’à son arrivée à Kobatake.
Ibuse ramène alors son lecteur cinq ans en arrière, et le plonge en plein cœur du drame. Nous apprenons que le jour du bombardement Yasuko quitte Hiroshima vers 4h30 du matin pour se rendre dans un village voisin. Mais quelques heures après l’explosion, ignorant ce qui s’est réellement produit, elle y retourne, découvrant une ville littéralement rasée. Et des blessés par centaines, comme elle n’en a encore jamais vu. Cette femme par exemple, « dont la joue trop gonflée pendait comme un sac ». Ou ce jeune garçon, que son propre frère ne parvient pas à reconnaître, et qui doit lui donner des preuves pour prouver qu’il est bien celui qu’il prétend être.
Le journal de l’oncle est un témoignage encore plus poignant. Il nous raconte sa fuite d’Hiroshima, ou plutôt son odyssée, en compagnie de « la cohue des réfugiés » qui se dirige vers la montagne. En chemin, il découvre des camphriers du temple bouddhique Kokutai, vieux de plus de mille ans, « déracinés, couchés, brûlés jusqu’à la moelle et carbonisés ». Croise des moribonds qu’il ne peut même pas secourir, une femme qui marche en portant sur son dos son enfant mort (et qu’elle veut ensevelir). Tout en surveillant du coin de l’œil le monstrueux cumulo-nimbus de l’explosion, nuage en forme de champignon pour les regards extérieurs, mais « nuage-méduse » pour ceux qui se se traînent en dessous.
Lorsqu’il a enfin rejoint l’usine où il espérait trouver refuge, une autre tâche l’attend : celle de brûler les morts, et de leur rendre un ultime hommage. Par la force des choses, Shigematsu s’improvise bonze, et le 7 août devient pour lui « une journée tout occupée de funérailles  », passée au rythme des crémations improvisées sur les bancs de sable de la rivière voisine.
Tour à tour, tous les rescapés témoignent de la même atrocité, mais personne ne sait alors ce qui s’est exactement passé, sinon qu’une bombe extraordinaire a « réduit en cendres la ville entière ». Pour la désigner, ils utilisent le mot « pikadon », mot-valise japonais signifiant à peu près éclair-explosion. Ou bien les périphrases « arme nouvelle », « bombe d’un nouveau type », « bombe spéciale de grande puissance »
Paru en 1966 et adapté au grand écran par Shohei Imamura en 1989, Pluie noire est un témoignage édifiant, qui se sert de cette histoire de mariage que l’on refuse à Yasuko comme d’un prétexte pour évoquer l’horreur. Pendant de nombreuses pages, elle est telle que nous avons davantage le sentiment de lire une fiction que la peinture d’une réalité à la fois historique et humaine (une réalité inadmissible et inconcevable, à laquelle il est douloureux de croire). Mais le plus étonnant, c’est la froideur, ou la distance avec laquelle l’auteur nous livre ce chemin de croix des rescapés, sans jamais exprimer la moindre haine, sans le moindre apitoiement, en ne s’attachant qu’aux faits et aux choses vues. C’est peut-être d’ailleurs cela la véritable tragédie d’Hiroshima : ces images effroyables que les survivants doivent soutenir malgré eux afin de pouvoir survivre. Et qui se sont gravées dans leur mémoire. Des images indélébiles que toutes les promesses de plus-jamais-ça ne sauront effacer.

Didier Garcia

Pluie noire,
Masuji Ibuse
Traduit du japonais par Takeko Tamura et Colette Yugué
Folio, 386 pages, 9,20

À l’heure du pikadon Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°224 , juin 2021.
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