La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Loin sont les jours dansants

juillet 2021 | Le Matricule des Anges n°225 | par Richard Blin

Dans un chant qui déshabille l’âme, Fouad El-Etr revient sur quelques scènes primitives, donatrices des grands chemins de sa poésie.

Un sang de songe irrigue le premier roman de Fouad El-Etr, l’un de nos plus grands poètes francophones, fondateur, en 1967, de La Délirante, une revue devenue mythique, éditeur et traducteur de Keats, Shelley, Dante. Un roman où il se souvient, s’enfonce dans les sentiers aléatoires de la mémoire, écarte les années comme des broussailles pour retrouver des lieux et des visages. Se remémorer aussi, dans le pur éclat de ce qui est sans âge, le convulsif trésor des merveilles premières, le souvenir de quelques scènes primitives de l’amour et de l’amitié.
Retour à l’origine, à ce foyer d’émerveillements, de présages et de promesses que fut l’escapade automnale d’un trio d’amis, une fille et deux garçons près d’entrer dans ce que Michel Leiris a appelé l’âge d’homme. Invités dans une vieille demeure sise en bordure d’une forêt battue de pluie et de poésie, ils allaient y vivre « comme un Âge d’or et d’innocence ».
Au tout début des années 60, « il suffisait d’un seul vers de Nerval ou de Verlaine, Baudelaire ou Keats, pour rendre une fille enthousiaste ou rêveuse ». Ici, ce sont quelques vers de Louise Labé qui vont préluder, entre les membres du trio, à la naissance d’un jeu amoureux dont le narrateur restitue la magie, le candide et l’incandescent. Il le fait en poète qui sait l’art souverain et mystérieux d’accrocher aux images un fort coefficient émotif. Usant du privilège de la vraie poésie, c’est-à-dire de sa force de happement sans retour, il nous plonge dans une suite d’instants privilégiés, de moments de lâchez tout où l’essentiel se joue dans une sorte de théâtre intérieur rythmé par la perception désirante et les déambulations plus ou moins hallucinées dans la forêt proche qui est comme la selva oscura de l’initiation.
Monde gorgé de profusion tendre, espace à arpenter jusqu’en ses replis et ses encavements, la forêt devient un corps physique et résonateur qui rend visibles et substantiels les sentiments qui agitent les protagonistes. Métamorphosée en matière poétique, active, vivante, elle devient le lieu et la formule d’une intime liturgie du désir. C’est elle qui magnétise la phrase, entraîne le narrateur dans le sillage du « flottement mélodieux » qui tient lieu de marche à celle qu’il nomme sa nymphe des bois. « Je n’aspirais qu’à me fondre corps et ombre, dans l’arrondi de cette présence voluptueuse », dans « la jeune, animale, irradiante beauté dont elle se dépouillait pour moi par abondance en marchant ». Et chaque sortie de leur laisser pressentir « des sensations inconnues d’elle et de moi (…) auxquelles notre innocence seule nous avait préparés ». Lente dérive consentante – « Nous étions soulevés par l’imminence de l’aveu, pliant et dépliant ensemble nos genoux » – dont la phrase épouse les méandres, où les gestes sont faciles, où le désir décide de tout sur fond de pure conscience d’être et d’accord avec la substance sensible du monde.
Toute une érotique de la sensation que magnifie la force évocatoire d’une écriture qui se réapproprie la liesse et l’ivresse d’un certain lyrisme, procède par jubilation accumulative, conjugue l’abandon du corps à la source sauvage du rêve. « Nous ne savions plus parfois si nous vivions un rêve ou rêvions notre vie », « nous devenions sans le savoir le rêve de l’autre ».
Sur le mode de la résonance, de l’irradiation et de l’osmose, c’est un art de la fugue et de la libre association des correspondances cachées entre les choses, que développe ce livre. Poème tendu, fasciné par la présence de la femme, « fées, nymphes, néréides qui laissèrent, en ces années, tant de traces mélodiques dans mes sens », En mémoire d’une saison de pluie est une sorte de songe hanté de réminiscences, et affecté par les spectres de ceux qui ne sont plus. Modulant à sa guise l’intensité des flammes, le tumulte des nuées, « le rire du tonnerre traversant la pluie » ou « le volume des senteurs, des silences et des voix », Fouad El-Etr bouleverse l’ordre des séquences, alterne scènes d’intérieur et d’extérieur, nous transporte sur une route de montagne avalée à tombeau ouvert entre roc et ravin ou encore dans les songes d’une pensionnaire amoureuse se morfondant dans sa chambre de couvent. Et puis il superpose, diffracte les pôles féminins, et monte l’ensemble à la manière d’un film montrant les lieux, les êtres et les circonstances qui constitueront le terreau de toute sa poésie. Et c’est la magie de la littérature de nous les donner à connaître et à partager, surtout quand la langue qui les dit puise aux sources les plus denses et les plus convulsives de la beauté.

Richard Blin

En mémoire d’une saison de pluie,
Fouad El-Etr
Gallimard, 304 pages, 20

Loin sont les jours dansants Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°225 , juillet 2021.
LMDA PDF n°225
4,00 
LMDA papier n°225
6,50